La fixation de la ligne de front
La guerre d'usure : qui prendra l'avantage ?
Dès la fin de l’année 1914, une ligne de tranchés longue de 700 km s’étend de la mer du Nord à la Suisse. Le front se fixe aux portes d’Arras ; à la guerre de mouvement succède une guerre de position et d’usure : c’est la guerre de tranchées.
Nous tenterons de documenter ce que fut ce front sur le secteur d’Ecurie, Saint-Laurent-Blangy et plus particulièrement sur Roclincourt. Cette dernière commune, qui fut traversée par le champ de bataille, est située à 5 km au nord-est d’Arras.
Pourquoi choisir de s’arrêter sur ce village ?
Ce site internet fut consulté par un Allemand, Joseph Mader, à la recherche des traces de son grand-père, Matthias Mader. Il combattit d’octobre 1914 à juillet 1916 dans le secteur de Roclincourt au sein du Deuxième régiment d’infanterie de réserve royal bavarois.
Joseph Mader nous fit le plaisir de nous transmettre des informations que nous communiquons sur cette page.
La fixation de la ligne de front
A la veille du conflit, Roclincourt recense environ 540 habitants.
Début octobre 1914, les zouaves (unités françaises d'infanterie légère appartenant à l'Armée d'Afrique) stoppent l’avancée allemande devant Roclincourt.
Ainsi, à la fin de l’année 1914, le front est fixé. Plusieurs lignes de tranchées sont établies. Les premières lignes des belligérants ne sont séparées par endroits que de quelques mètres.
Réflexions d'un commandant de régiment bavarois sur la guerre des tranchées au large d'Arras.
« La guerre de mouvement était maintenant réellement terminée, aussi peu que les troupes et les dirigeants pouvaient le voir à l'époque.
A ce tournant, seule la doctrine principale doit être soulignée. Les Français ont un système exemplaire de flanquement avec des fusiliers et des mitrailleuses, qui nous a gravement blessés en attaque et en défense, et contre lequel nous n'avons trouvé aucune contre-mesure efficace tout au long de la guerre. Nous n'avons pas pu non plus le copier dans cette perfection. Le principe du flanquement a déterminé les fortifications françaises pendant des siècles. Sa prévalence partout dans la guerre de mouvement et plus tard dans la guerre de tranchées nous a complètement surpris. Il est profondément enraciné dans le caractère rusé des Français et s'attend sagement à ce que les Allemands ne puissent penser qu'en ligne droite. Seuls ceux qui en ont fait l'expérience eux-mêmes et qui ont observé à quel point même un tir de flanc dévastateur met à l'épreuve le moral et la puissance de combat des troupes peuvent pleinement apprécier cette question. Si l'on voulait parler d'horreur pour l'infanterie, ce serait d'abord le cri : feu de flanc.
Parfois dans la guerre de mouvement, mais principalement dans la guerre de position, il y avait aussi des tirs d'artillerie de flanc, contre lesquels notre artillerie, qui avait ses limites de tir latérales fixes et dans de nombreux cas ne pouvait même pas trouver l'artillerie ennemie, ne pouvait rien faire. »1
Merci à Joseph Mader pour la communication de cet extrait.
Légende : La carte indique les mouvements et les positions atteintes les 2, 3, 5 (tôt) et 6 octobre 1914.
Chiffre = Régiment
Les Français dressent des barricades aux portes de Roclincourt. Le clocher de l’église est détruit le 26 octobre 1914 ; le village est évacué début décembre 1914. Il n’est plus que ruines fin février.
« Du talus, là où aboutit la tranchée Helfer, vu en direction de l’ennemi, l’ensemble du panorama des combats du 21 octobre 1914, s’étale devant nous. Nous sommes sur le champ de bataille de Maison-blanche. Guidé à partir de là, le régiment de réserve a pris d’assaut la position installée en hauteur. Sur la droite passe la route Bailleul – Arras. Les arbres indiquent clairement l’endroit où la route entre dans la position proprement dite. Là où il n’y a plus que des restes de tronc d’arbres et où se trouve la barricade routière, se situe le croisement formé par les tranchées Weissmann, Obermaier, Dittelberger. » 2
(se reporter à la carte ci-dessus pour se repérer)
Les trois zones : le front, la zone occupée, la zone non-occupée
Le front, les tranchées, les offensives
Film : les tranchées de première ligne en Argonne
Court métrage d'animation : la tranchée
La guerre d'usure : qui prendra l'avantage ?
Les tentatives de prise de possession des positions adverses se succèdent au début de l’année 1915.
Cette bataille préparée par Joffre qui débute le 9 mai 1915, est une offensive de grande ampleur en Artois visant à reconquérir notamment la crête de Vimy et Notre-Dame-de-Lorette.
A Roclincourt la tentative de conquête des positions ennemies s’avère un échec.
Le 9 mai 1915, 5 100 hommes sont tués, disparus ou blessés. 1131 hommes du 88e Régiment d’infanterie, venant du Gers, sont morts en tentant de franchir les 300 mètres les séparant des lignes ennemies.
Les tentatives vaines pour enfoncer les lignes allemandes se succèdent jusqu’au 17 juin 1915.
Soutenue par des divisons britanniques, la Troisième bataille d’Artois se déroule du 15 au 29 septembre 1915. A son issue, la guerre de tranchées recommence…
« A une distance comprise entre 40 et 80 m de notre propre position se trouve la première ligne ennemie. [...]
L'adversaire renforce ses obstacles autour de Roclincourt et des positions de hauteur. Les points stratégiquement plus importants, à l'intérieur de ses lignes, sont entourés d'un réseau de barbelés très large. Il est possible que l'adversaire s'attende à une opération de notre part et essaie de s'y préparer. De plus en plus de fusées éclairantes montent dans la nuit afin de pouvoir détecter des patrouilles sur le terrain avancé. [...]
Toutes les nuits un groupe fortifie les obstacles devant les verrous, un autre transporte les matériaux, un autre fabrique les fascines dans la tranchée, un quatrième plante des poteaux et un cinquième mine.
Les abris se multiplient également dans ce secteur. On en construit des nouveaux et on répare puis aménage les anciens. » (printemps 1916) 3
La guerre souterraine
Des sapes - guerre des mines - sont faites par le génie militaire en creusant des galeries sous le no man’s land : elles font exploser de grandes quantités d’explosifs sous les tranchées adverses, ce qui créent des entonnoirs.
La compagnie de tunneliers néo-zélandais composée de 350 hommes riposte à la guerre souterraine engagée par les Allemands.
« L’activité de creusement de mine s’accroît. Le bruit de minage en dessous de nous ne s’arrête plus. [...]
Mais notre propre système approche également de son achèvement et les galeries peuvent être chargées. Des équipes, le dos courbé sous la charge, passent la nuit dans la position avec des caisses noires et disparaissent dans la galerie basse. Ce sont des munitions explosives et cela rassure. Plusieurs centaines de demi-quintaux entrent dans la galerie. Pendant plusieurs années nous avons construit ce genre de galeries, celles-ci arrivent maintenant sous les lignes ennemies. Les déblais ont été sortis la nuit dans des centaines de milliers de sacs, qui, vidés, ont été de nouveau remplis, puis vidés encore jusqu’à ce que l’ouvrage soit fini. Maintenant tout est prêt. Les galeries sont chargées et fermées, les câbles sont branchés. Il suffit maintenant d’attendre le moment propice pour s’assurer le succès. Ce jour sera un jour d’horreur pour nos ennemis. » 4
Les conditions de vie dans les tranchées
Dans les tranchées et les boyaux français, la boue enlise les tirailleurs jusqu’au ventre, en dépit des pompes du village utilisées pour extraire l’eau.
Jean-Marie Girardet décrit les conditions de vie dans les tranchées : « Dès la fin novembre [1915], il faut lutter contre un nouvel ennemi sournois, implacable et hideux, la boue. [...]. L’argile et le sable délayés forment un horrible mastic mouvant qui, par endroits, remplit la tranchée jusqu’aux bords. La marche à travers cette pâte exige un travail épuisant. Impossible d’avancer quand on est pris jusqu’au ventre. On a vu des hommes sortir de cette glu en y abandonnant leurs godillots et leurs culottes. » 5
L’été, les conditions sont décrites par le capitaine Hubert :
« Combien de cadavres étaient enterrés dans les parapets de ces tranchées creusées en plein combat lors des affaires de mai et tout au long desquelles, à chaque pas, on voyait émerger, ici une touffe de cheveux, là un pan de capote, là une main, ici un soulier…. Les cadavres ! les cadavres ! On vivait au milieu des cadavres !
Ils pourrissaient sur le « bled » entre les tranchées, en avant des tranchées, dans les trous d’obus ; ils pourrissaient dans tous les parapets, derrière les sacs de terre ; ils pourrissaient partout ; en ces journées d’été leur odeur emplissait l’air. Etait-ce leur présence qui attirait ces myriades de grosses mouches noires et vertes qui recouvraient d’une carapace luisante et bourdonnante le moindre morceau de pain abandonné, la moindre ordure ? » 6
Ces conditions sanitaires sont à l’origine de nombreuses maladies, dont le pied de tranchées, qui associant diminution de l’apport sanguin (ischémie) et infection peut évoluer vers une nécrose ; l’amputation et la mort. La prévention consiste en une inspection régulière des pieds et la possibilité de changer de chaussettes régulièrement.
Légende : Position le 9 mai 1915 matin et dans la soirée.
Légende : Direction et jour des attaques françaises.
Pour consulter la carte ci-dessus.
Il faudra attendre le 9 avril 1917 et la bataille d’Arras pour que Roclincourt soit complétement dégagé.
Roclincourt devient le cantonnement de différentes divisions.
En février, mars 1917, a lieu l'opération Alberich, qui désigne le repli stratégique des troupes allemandes sur la ligne Hindenburg.
Lors de la Kaiserschlacht, la « bataille de l’Empereur » commencé le 21 mars 1918 et dont la ligne Hindenburg est le point de départ, le verrou d’Arras tient bon. Le nouveau front se stabilise jusqu’à la fin d’août 1918.
Les offensives alliées menées dès août libèrent définitivement Arras le 2 septembre 1918. Le journal Le Lion d'Arras titre dans son édition du 5 septembre :
Dès le 9 avril 1917, aux bénéfices des territoires reconquis lors de la Bataille d'Arras, La Scarpe est utilisée à des fins logistiques d’approvisionnement de la nouvelle ligne de front.
Les ruines de Roclincourt, 30 juin 1917. (source : albums Valois / La Contemporaine)
Près de Roclincourt, 30 octobre 1917 –Baraquements d’un Q. G. britannique. Au milieu, tombes militaires françaises. (source : albums Valois / La Contemporaine)
Les photographies des tranchées ci-dessous ont été faites en janvier 1918. A cette date, Roclincourt était dégagé ; la ligne de front s'était éloignée plus à l'est...
Roclincourt : le dernier jour du soldat Grenier
1 - Helbling, Max, e.a., Das k.b. Reserve-Infanterie-Regiment Nr. 2, München 1926, p. 37.
2 - Schneider Alfons, Dans la tranchée devant Arras, Bailleul-Sire-Berthoult, Fampoux, Gavrelle, Roeux, Saint-Laurent-Blangy, Documents d’Archéologie et d’Histoire du XXe siècle,traduit de l'allemand par Monika Lourdaux 1997, p. 59
3 - Ibidem, p. 42, 46, 48.
4 - Ibidem, p. 58.
5 - Jean-Marie Girardet, Roclincourt – Ecurie, un verrou du front d’Artois, Documents d’Archéologie et d’Histoire du XXe siècle, 1995, p. 67.
6 - Capitaine Hubert, La Division Barbot. Cité dans Arras et les batailles d’Artois, Ed. Michelin, 1920, p. 12.
Bibliographie :
Girardet Jean-Marie, Roclincourt – Ecurie, un verrou du front d’Artois, Documents d’Archéologie et d’Histoire du XXe siècle, 1995.
Letho Duclos Jean-Luc, Saint-Laurent-Blangy dans la Grande Guerre, Documents d'archéologie et d'histoire du XXe siècle, 1994.
Schneider Alfons, Dans la tranchée devant Arras, Bailleul-Sire-Berthoult, Fampoux, Gavrelle, Roeux, Saint-Laurent-Blangy, Documents d’Archéologie et d’Histoire du XXe siècle, traduction Monika Lourdaux, 1997.
Le Maner Yves, La Grande Guerre dans le Nord et le Pas-de-Calais, Editions La Voix, 2014.
Roclincourt se souvient.
Les albums de Fernand Malinvaud, arrivé sur le front en août 1915 avec le 63e Régiment d'Infanterie, dans le secteur du Labyrinthe. Photographies de Roclincourt et d'Ecurie à partir du numéro 31.
Monument à la mémoire des 88e et 288e R.I. et 135e territorial
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