Entre le démantèlement des fortifications de la ville mis en œuvre à partir de 1891 et 1934 (le 13 mai, inauguration de la cathédrale reconstruite) date retenue de la fin de la Grande Reconstruction, moins d’un demi-siècle s’est écoulé. La transformation d’Arras fut radicale :
disparition des fortifications et des portes d’entrée de la ville ;
construction d’une nouvelle gare et création de nouveaux boulevards ;
Arras est entourée de remparts depuis le XIIe siècle. Pour faire face aux progrès de l’artillerie, on double au XVIe siècle les murailles médiévales de deux talus de terre épaulés de maçonnerie, et on leur ajoute une dizaine de bastions, ouvrages avancés destinés à renforcer l’enceinte. Après la prise de la ville en 1640, Vauban améliore les défenses avancées et dirige la construction de la citadelle de 1668 à 1672. Dès lors, la capitale de l’Artois fait partie de la « frontière de fer », cette double ceinture de places fortes qui protège le nord de la France, de la mer du Nord aux Ardennes.
En 1891, six portes seulement permettent l’accès à Arras. 1
Mais en raison de la portée des pièces d’artillerie, la place forte perd de son utilité ; élus et entrepreneurs réclament la disparition des remparts qui entravent l’expansion de la ville.
Les tractations avec l’Etat ouvertes dès 1871 aboutissent à son déclassement. Le 30 janvier 1889, le maire Emile Legrelle donne lecture de la convention passée avec la municipalité pour mettre en œuvre le démantèlement des remparts. La démolition est assurée par le Génie.
A l’issue de sept années de labeur, Arras, ville ouverte débarrassée de son corset de rempart, va pouvoir créer des boulevards périphériques, construire une nouvelle gare ferroviaire et entamer son extension.
Replongeons-nous un instant grâce à ces photographies exceptionnelles des collections du Musée des Beaux-Arts et de la Médiathèque municipale dans un Arras révolu.
Ces photographies pour certaines inédites sont pour la plupart du photographe Joseph Quentin.
1 – texte de l’exposition « Arras, d’une guerre à l’autre 1870 – 1914 », conçue par la Médiathèque
Portes et fortifications
carte : plan joint à la convention intervenue le 1er mai 1890 entre l’Etat et la Ville d’Arras en vue du démantèlement de cette Place, échelle 1/5000e, détail (source : archives municipales)
La porte Baudimont. Elle ne fut détruite qu'en 1929. Photographies de Joseph Quentin, Musée des Beaux-Arts d'Arras.
Porte Méaulens. Photographie de Joseph Quentin, Musée des Beaux-Arts d'Arras - album "Souvenir des fortifications, Arras, 1891 - 1892", médiathèque municipale.
Porte d'eau du Rivage et Rivage intérieur. La porte d'eau du Rivage permettait aux bateaux naviguant sur la Scarpe de venir s'amarrer au quai du Rivage. Photographie de Joseph Quentin, Musée des Beaux-Arts d'Arras.
La porte Ronville. Photographies de Joseph Quentin, Musée des Beaux-Arts d'Arras. - Deux dernières photos : octroi et entrée de la porte Ronville, panorama. Photographie de Joseph Quentin, album "Souvenir des fortifications, Arras, 1891 - 1892", médiathèque municipale.
La porte des soupirs. Photographie de Joseph Quentin, Musée des Beaux-Arts d'Arras.
La porte d'Amiens. Photographies de Joseph Quentin, Musée des Beaux-Arts d'Arras.
Boulevard Saint-Nicolas. Photographie de Joseph Quentin, Musée des Beaux-Arts d'Arras.
Le démantèlement
Démantèlement de la porte d'Amiens. Photographies de Joseph Quentin, Musée des Beaux-Arts d'Arras.
L’histoire de la place de l’Ancien Rivage se confond avec celle d’Arras. Etabli sur les anciens vergers de l’abbaye Saint-Vaast, le quartier Méaulens vit une reconversion économique profonde au XIVe et XVe siècles. Le secteur du textile, dominant, se diversifie avec la sayetterie (industrie textile utilisant de préférence des laines espagnoles plutôt que des laines anglaises plus coûteuses). La tapisserie de haute lice et la dentelle qu’on développe sous le règne de Louis XIV.
Pour retrouver une prospérité commerciale et favoriser les échanges fluviaux, la Scarpe doit devenir navigable jusqu’à Arras et non plus jusqu’à Douai qui bénéficie jusque-là du monopole de l’étape des grains. Philippe II d’Espagne autorise l’opération par un édit de 1575, confirmé par lettres patentes en 1595. Sous la direction de Jehan le Meester, les travaux débutent en 1605. En 1620, le premier navire passe la porte d’eau du Rivage et accède au port. Devenu obsolète, le bassin est comblé lors des grands travaux de démantèlement des fortifications de la ville.
La tour de Montdejeux - que l'on aperçoit sur la photographie ci-dessus - perdurera jusqu'aux années 1960 (nous trouvons aussi l'orthographe "tour Mondejeu" sur une carte postale)...
La tour tire son nom de Jean de Schulemberg, comte de Montdejeux.
« La circulation, qui devenait plus intense, était gênée par l’étranglement de la porte qui ne laissait place qu’à une voiture. Le conseil municipal, présidé par M. Désiré Delansorne, jugea plus simple de démolir complètement ce dernier vestige des remparts d’Arras, vestige qui aurait eu pourtant sa place tout indiquée au milieu du Rond-Point actuel. Mais on n’avait pas en 1929, inventé les sens giratoires et après la séance du conseil du 30 octobre, la démolition de la porte Baudimont fut confiée à l’Entreprise générale du bâtiment. En 1930, la porte avait définitivement disparu. » 1
1 - Docteur Georges Paris, Un Demi-siècle de vie arrageoise, 1971, p 81
Nouveaux boulevards et nouvelles rues
A la faveur de 91 hectares de terrain remis par le Génie, 5 km de nouvelles rues, des boulevards larges de trente mètres, circulaires et à double voie sont créés. Bien nivelés, plantés d’une double rangée d’arbres agrémentés de bancs, ils sont bordés de maisons de particuliers. (souvenons-nous de la définition première du mot boulevard : "voie spacieuse établie dans les villes sur l'emplacement des anciens remparts", Le Larousse).
La municipalité refuse la conservation de certaines portes. Eugène Couturaud, architecte de la ville d’Arras, qui préside le démantèlement, rejette aussi la sauvegarde du patrimoine historique au profit d’un urbanisme moderne. Le maire Emile Legrelle (1884 – 1899) qui obtint le déclassement de la ville, peut mettre en œuvre la politique hygiéniste de la Belle époque (approvisionnement en eau, création de jardins publics…)
Les boulevards Sadi-Carnot, Vauban, de Strasbourg et Faidherbe reçoivent leur nom dès leur création, en application d'un plan d'alignement dressé par l'architecte de la ville Eugène Couturaud en 1891. Un second plan datant de 1895 permet la création des boulevards actuels Robert-Schuman (à l'origine boulevard de la Scarpe) et de la Liberté.
La place de Marseille fut dénommée initialement place Vauban.
Un nouvel espace urbain, embelli et assaini, s'offre à la ville (une "haussmannisation" tardive) ; de nouveaux quartiers voient le jour (266 nouvelles maisons).
Sur l’emplacement de la porte Ronville s’élève l'Hôtel des postes.
La municipalité profite du démantèlement des remparts pour construire une nouvelle gare dans l’axe de la rue principale (la rue Gambetta est prolongée). Cette gare est inaugurée le 30 octobre 1898.
La nouvelle place de la gare de 150 mètres de largeur sur 80 mètres de profondeur, terminée en avril 1898, est semi-circulaire et ouverte sur un faisceau symétrique de six rues rayonnantes.
"[…] on substitue dans le second projet [le déplacement de la gare à l’emplacement actuel] un faisceau symétrique et bien compris de voies larges rayonnant toutes vers la place de la gare. […] Enfin, on a pu donner au tracé général, grâce à la nouvelle position de la gare, un caractère qui contribuera beaucoup à l’embellissement de la ville. "
Conseil municipal du 5 août 1890, gare de chemin de fer, projet de déplacement.
Un développement industriel - qui ne remplira pas toutes ses promesses - s'opère grâce à l'établissement d'une voie de chemin de fer entre la gare et la porte Méaulens : elle dessert les nouvelles usines, les entrepôts de marchandises. Un embranchement de la Grand' Place permet d'amener les grains par voie de fer sur le marché.
Nous voyons sur la photographie ci-dessus cet immeuble de style éclectique en construction.
Le boulevard de Strasbourg. Photographie de Joseph Quentin, Musée des Beaux-Arts d'Arras.
L'actuelle place Oudenaarde. Photographie de Joseph Quentin, Musée des Beaux-Arts d'Arras.
Le boulevard Carnot. Photographies de Joseph Quentin, Musée des Beaux-Arts d'Arras.
Avec trois monuments, le boulevard Carnot est un boulevard de la mémoire.
Eugène Couturaud signa des édifices de l’architecture privée, mais aussi de l’architecture publique : Ecole des Beaux-Arts, hôtel de la Poste, Caisse d’épargne... Si celle-ci est aujourd'hui la résidence de la Châtellenie, deux photographies témoignent de ce qu'elle fut.
La rue Méaulens prolongée. Photographies de Joseph Quentin, Musée des Beaux-Arts d'Arras.
Source : collection Noël-Jean Plouhinek (trois premières cartes postales) et archives départementales du Pas-de-Calais, collection Georges Bacot.
Le bastion de Roeux, surnommé bastion des chouettes, est le dernier vestige des fortifications de la ville.
Ces remparts et portes disparues suscitent en vous la nostalgie ?
Avant de nous quitter, replongeons-nous dans Arras de la Belle époque, avec ses places déjà si animées.
Photographie de Joseph Quentin, Musée des Beaux-Arts d'Arras.
Joseph Quentin (1857 – 1946)
Personnalité artésienne, Joseph Quentin obtient une réputation internationale dans le domaine de la photographie dont il apprend la technique en parfait autodidacte. Il remporte ainsi plusieurs médailles et est engagé comme photographe officiel de la Préfecture et des compagnies houillères de la région. Dans ses autoportraits photographiques il se met en scène et prend la pose dans des décors pittoresques : devant un paysage en carton-pâte, appareil photographique installé sur son pied, parfois costumé, ou parmi sa collection d’oiseaux naturalisés. (texte : Musée des Beaux-Arts d'Arras)
Cet article n'a pas d'autre ambition que de réunir des photographies et documents remarquables de différentes collections et de les faire connaître. Les personnes qui voudront approfondir leurs connaissances sur les fortifications et le démantèlement pourront se reporter aux ouvrages suivants :
Histoire et Mémoire, périodique des Archives départementales du Pas-de-Calais, décembre 2007
G. Bellard et F. Maison, Les Fortifications d'Arras du XIIe au XIXe siècle, Musée d'Arras, 1979.
Honoré Bernard, Arras ville fortifiée, Musée d’Arras, 1993
Alain Salamagne, A la découverte des anciennes fortifications d’Arras, Nord Patrimoine Editions, 1999
Joseph Quentin, 1857 - 1946, photographe artésien, Les dossiers de Gauheria n° 3, 1991
Joseph Quentin, Souvenir des fortifications, 1891-1892 (album de cinquante et une planche), 1893
Et plus particulièrement :
Dominique Coclet, Agnès Devulder, Micheline Goulois, Alain Nolibos, Architecture et urbanisme à Arras au XIXe siècle, ASSEMCA, 2014.
Il est le fruit d'un important travail de recherches, il est disponible à l'Office de tourisme.
Un grand merci à Jean-Claude Leclercq et à Maximilien Dumoulin pour leurs nombreuses et précieuses contributions.
Nous adressons nos vifs remerciements à Lionel Gallois, directeur des archives départementales du Pas-de-Calais ; Marie-Lyse Marguerite, directrice du Pôle culturel Saint-Vaast-Verlaine-Ronville ; Marie Fouré, cheffe du service régie des collections patrimoniales du Pôle culturel Saint-Vaast-Verlaine-Ronville ; Olivia Minne-Segui, directrice adjointe du pôle culturel Saint-Vaast-Verlaine-Ronville ; Pascal Rideau, responsable des collections de lecture publique du Pôle culturel Saint-Vaast-Verlaine-Ronville ; Florence Denys, directrice de la direction juridique de la Ville d’Arras pour la communication des documents.
Grâce à de nombreuses photos d’époque inédites, exhumées de différents centres d’archives, vivez la fabuleuse aventure de la Grande Reconstruction d’Arras, détruite à près de 80 %.
La découverte du Plan d’Aménagement, d'Embellissement et d'Extension – élaboré avec René Danger et dont le rapporteur auprès de la Commission supérieure fut Léon Jaussely - revisite l’historiographie présentant une reconstruction uniquement à l'identique, un Plan d'alignement parcimonieux et échappant au contrôle de la Municipalité. Bien au contraire, elle fit résolument sienne la nouvelle science du début du XXe siècle, l’urbanisme, qui comptait ces derniers parmi ses précurseurs.
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