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La Grande Reconstruction, Arras, ville nouvelle !

La Grande Reconstruction, Arras, ville nouvelle !

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Les constructions provisoires

"On rafistole..."

En 1917, une équipe d’une centaine d’hommes – couvreurs et zingueurs – dirigés par le lieutenant qui sera par la suite capitaine et commandant d’Armes, a travaillé à remettre les toitures en état.1

« L’Administration des Ponts-Chaussées délivre gratuitement, au nom de l’Etat du carton bitumé et de la toile huilée aux propriétaires d’Arras qui veulent réparer provisoirement leur immeuble. »1

En novembre 1918, la ville attend l’arrivée d’une centaine de prisonniers allemands, manœuvres et ouvriers du bâtiment.1

 

A leur retour d’exode, les Arrageois découvrirent une ville détruite à près de 80%. Dans son numéro 118 du 28 novembre 1918, le journal le Lion d’Arras donna un compte-rendu du conseil municipal du 15 novembre qui dressa cet état des lieux : sur 4907 bâtiments (4421 maisons et 486 immeubles) 1311 étaient ruinés, 1227 partiellement détruits, 1499 endommagés et 870 seulement à peu près intacts.

Pour les Arrageois qui retrouvèrent une maison indemne des bombardements, celle-ci se dégrada par de longues années sans entretien ni chauffage. Echappa-t-elle aussi aux pillages, au cantonnement des militaires français puis britanniques (pour y loger), avait-elle encore ses portes, fenêtres, poutres, quand on sait que le bois était convoité pour se chauffer ?

Les témoignages qui suivent sont précieux pour mesurer ce que signifiait venir revivre dans une ville en ruine :

« Mon père, conseiller municipal et conseiller général, revint à Arras dès sa démobilisation, le premier décembre 1918. Il habitait l'actuelle rue du Général-Barbot où subsistaient seulement trois immeubles, d'ailleurs sans toits, ni portes, ni fenêtres [...]. [La maison] de mes parents était réduite à quelques murs. Mon père et ma mère s'installèrent dans l'unique pièce habitable de l'immeuble de mes grands-parents, qui avait été lui-même touché par un obus en octobre 1914. On recouvrit le toit de carton ondulé, les fenêtres furent bouchées de papier huilé et quelques madriers tinrent lieu de portes. » 2

 

« On rentre, on rentre ! On « rafistole » toitures, plafonds, fenêtres. On bouche les trous. On couche et on mange où l’on peut. On crève de froid, faute de charbon. Mais on est à Arras. Depuis six semaines, par suite de la démobilisation des classes territoriales, les rentrées se comptent par centaines. […]

Epiceries, cafés, coiffeurs, petits détaillants ouvrent dans les ruines.

Et l’animation, le soir surtout, est grande dans les rues Gambetta et Saint-Aubert qui reprennent vie après quatre longue années de tristesse et de mort. » 3

 

« Ils se sont logés [les réfugiés], eux et leur famille, dans des caves, dans des hangars aux planches mal jointes, sous des gourbis dépourvus de tout confort, exposés aux morsures de notre climat d'hiver, mal défendus contre les chaleurs d'été, irrégulièrement ravitaillés, pour ainsi dire sans communication avec le reste du monde ; ils se sont mis au travail dans la désolation de l'immense désert, et ils ont travaillé, si courageusement, si énergiquement travaillé qu'ils ont accompli en quelques années une oeuvre gigantesque. »4

 

1 - Le Lion d'Arras, n° 118, 28 novembre 1918.

2 - Souvenirs du docteur Paris, cité dans Le Retour des réfugiés et la reprise de la vie locale dans le Pas-de-Calais au lendemain de la Première Guerre mondiale, Benjamin Fauqueur, Mémoire de maîtrise, 1999, p.26

3 - Article En zigzaguant dans les rues d’Arras, journal Le Pas-de-Calais libéré, 6 mars 1919

4 - Propos du président du conseil général du Pas-de-Calais, M. Jonnart, en 1924, cité dans La Grande Guerre dans le Nord et le Pas-de-Calais, Yves Le Maner, Editions La Voix, 2014, p. 375

 

 

 

Papier à en-tête d’une entreprise produisant du carton bitumé, 1917. (source : médiathèque municipale, Mission militaire française)

 

Petite Place, 10 mai 1920

 

Grand’ Place, 10 mai 1920

 

un marchand de poissons, 10 mai 1920

source : Collection Archives de la Planète - Musée Albert-Kahn/Département des Hauts-de-Seine, Frédéric Gadmer
 

 

vue d’ensemble des destructions. (source : Ministère de la Culture, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, diffusion RMN, collection Paquet)

 

1920. (source : Ministère de la Culture, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, diffusion RMN)

 

dégâts sur les façades. (source : Ministère de la Culture, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, diffusion RMN, collection Paquet)

 

Le Lion d'Arras n° 124, 23 janvier 1919.

 

Le Lion d'Arras n° 124, 23 janvier 1919.

 

Le Lion d’Arras n° 152, 7 août 1919.

 

En complément du film ci-dessus, un des premiers marchés après le conflit. (collection Jean-Claude Leclercq)

Photographie qui a fait l'objet d'un tirage en allemand !

"Marché hebdomadaire dans la ville détruite d'Arras". (collection Jean-Claude Leclercq)

 

(collection privée)

 

(source : albums Valois / La Contemporaine)

 

(source : collection privée)

 

Un marché, place de la Vacquerie. (source : collection privée)

 

Des Arrageois s’affairent devant des étals, place du Théâtre (source : collection privée).

 

Le temps long de la reconstruction définitive : les baraquements

« Tant que le plan d’alignement et de nivellement n’est pas approuvé, aucune construction, sauf d’abris provisoires, ne peut être effectuée sans autorisation du Préfet […] ». Loi Cornudet du 14 mars 1919, article 2 § 3

 

pharmacie boulevard Carnot, 10 mai 1920

 

une literie, 10 mai 1920

 

rue des Vieziers, petite maison en tôle ondulée, 10 mai 1920

 

une école, 10 mai 1920

source : Collection Archives de la Planète - Musée Albert-Kahn/Département des Hauts-de-Seine, Frédéric Gadmer

 

Baraquement rue des Louez-Dieu, 13 juin 1922. (source : médiathèque municipale)

 

Baraquements rue des Grands-Vieziers, vue prise de la rue de la Madeleine (Paul-Doumer), 8 juin 1922. (source : médiathèque municipale)

 

la rue des Grands-Vieziers, 13 juin 1922, photographie prise dans l'autre sens par rapport à la photographie ci-dessus. (source : médiathèque municipale)

 

Baraquement rue des Récollets, Au Progrès. On y vend « ceintures ventrières, bas à varices, bandages, bandes de gaze de toile, pansements antiseptiques, eaux minérales, huiles comestibles, huiles industrielles, savons, chocolat... », 6 juillet 1922. (source : médiathèque municipale)

 

Rue Saint-Géry (Désiré-Delansorne), 1922. (source : médiathèque municipale)

 

Rue de la Madeleine (Paul-Doumer), 1922. (source : médiathèque municipale)

 

photo prise entre la rue des Grands-Vieziers et l'actuelle rue Désiré-Delansorne, 24 mars 1921. (fonds Paul Decaux, Archives départementales du Pas-de-Calais)

 

(source : collection Artois cartophilie)

 

Garage Pierre Richard, 27 bis rue Méaulens. Il loue à partir de 1923 une partie (548 m2) de l’ancienne école de garçons. La location est précaire et révocable. Si la ville désire reprendre la jouissance de son terrain, l’installation devra être démontée dans un délai de 15 jours. (collection privée)

 

Le bureau provisoire des Postes et Télégraphes. Nous apercevons en arrière-plan la gare en reconstruction. (source : collection privée)

 

Place de la Gare. Des ouvriers s’affairent à la reconstruction. Les demi-lunes devaient servir d’habitation provisoire. (source : collection privée)

 

Baraquement à l'angle des rues du 29-Juillet et des Gauguiers (Général-Barbot). (source : collection Pascal Mantel).

 

1923. (source : collection privée)

 

Le Lion d'Arras n° 171, 18 décembre 1919.

 

Georges Paris note :

« Quant à l’innombrable main-d’œuvre qui se déversait sur Arras [après l’armistice], on réussit à lui procurer les logements de fortune : les célibataires pouvaient coucher dans des wagons-lits désaffectés installés dans la cour de la caserne Schramm. Les ménages eurent à leur disposition les anciens abris anglais appelés officieusement « Nissens » et qui furent de suite qualifiés de « demi-lunes ». Ces demi-lunes situées aux alentours de la ville devinrent le symbole de l’après-guerre 14. Rapidement montées, étanches, elles s’édifièrent partout sur les terrains vagues, dans les campagnes, dans les fermes. » 1

1 - Docteur Georges Paris, Un Demi-siècle de vie arrageoise, 1971, p 65

 

 

Ce relevé nous livre des informations précieuses sur les constructions provisoires. Ainsi la cour du Palais Saint-Vaast accueille une salle de classe, les Allées une école enfantine dans deux baraques « Adrian » d’une surface de 360 m2 ; un asile de nuit, sur la place de l’Ancien-Rivage est construite une baraque de 150 m2 pour loger plusieurs familles d’indigents, sur la Place Vauban (place de Marseille) 7 baraquements d’un surface de 392 m2 pour loger les familles des employés des Ponts et Chaussées.

source : archives municipales (détail)

 

Plan d’un baraquement en bois de sapin au 2 Petite Place, 1921. (source : archives municipales)

_______________

Le procès-verbal du Conseil municipal du 14 novembre 1924 nous apprend que l’Administration des Régions Libérées a cédé à la Ville tous les baraquements et constructions semi-provisoires qui sont la propriété de l’Etat et édifiés sur des terrains communaux.

Cette cession comprend les constructions semi-provisoires en matériaux durs formant les cités du Chemin de la Croix de Grès, du Polygone et du Rietz et tous les baraquements existant sur les terrains de la Ville y compris les baraquements de la place Vauban. Au total il s’agit de 47 maisons provisoires formant 80 logements  et de 58 baraquements représentant 61 logements.

Par la suite, la Ville mettra en location ces baraquements, avec le barème suivant (A.M. d’Arras, délibération du 17 avril 1925) :

1)         Baraquements couverts en tôles ondulées ou carton bitumé

                      Baraque Nissen (demi-lune)                                              10 francs par mois

                      Baraque 2 pièces (42m2)                                                   15 francs par mois

Baraque 2 pièces et hangar 48 et 50 m2                                                 15 francs par mois

Baraque 3 pièces 48 m2                                                                          15 francs par mois

Baraque 2 pièces et hangar 56 m2                                                          16 francs par mois

Baraque 3 pièces et hangar 60 m2                                                          18 francs par mois

Baraque 3 pièces et hangar 84 m2                                                          25 francs par mois

Baraque 4 pièces et hangar 96 m2                                                          28 francs par mois

Baraque 4 pièces divisée en 2 logements

de 45 m2 chacun                                                                                     15 francs par mois et par logement

 

2) Baraquements soignés couverts en tuiles mécaniques (genre place Vauban)

Baraquement 2 pièces et hangar transformé 56 m2                              18 francs par mois

Baraquement 4 pièces et hangar transformé 112 m2                            35 francs par mois

 

3) Maisons semi-provisoires en matériaux durs, couverts en tuiles mécaniques ou fibro-ciment

Maison de 2 pièces 40 m2                                                                      20 francs par mois

Maison de 2 pièces et hangar 63 m2                                                      22 francs par mois

Maison de 4 pièces et hangar 120 m2                                                    40 francs par mois

La même maison 4 pièces et hangar, divisée en 2 logements de 60 m2

chacun                                                                                                  20 francs par mois et par logement

 

(PS : Les demi-lunes Nissen proviennent des cantonnements de l'armée britannique)

 

__________________

« Sur un total de 4 281 immeubles particuliers endommagés par la guerre, au 1er janvier 1922, 1 934 étaient remis totalement en état, 1 453 étaient en cours de reconstruction et 894 restaient à restaurer » (A. M. d’Arras, sans date)

« A l’heure actuelle, 2912 [maisons] sont reconstruites et 1238 en cours de reconstruction. » (24 août 1924, discours de M. Justin Godart, Ministre du Travail, à l’occasion de la Pose de la première pierre de l’Hôtel de Ville, A. M. d’Arras)

 ___________

 

L'exemple de la Maison bleue

La Maison bleue après les bombardements. (collection privée)

 

Demande d’autorisation d’installation d’un baraquement, 1921.

 

 Les droits d’occupation sont de 2 francs par an et par mètre carré de terrain.

 

Plan du baraquement La Maison bleue (angle Place du Théâtre et rue Saint-Aubert), 1921. (source : archives municipales)

 

Le plan comporte l’indication : « fibro-ciment et sapin brut »

L’autorisation de construire définitivement date de juillet 1925. Les travaux furent achevés en 1931, date du procès-verbal de réception définitive.

 

Baraquement (ou construction provisoire) de la Maison Bleue, 1922. (source : médiathèque municipale)

 

 

Le Pas-de-Calais libéré, 12 mai 1921

 

Un camp-hôtel

Nous supposons que ce camp-hôtel, dont nous ne connaissons pas l'emplacement, accueillait les nombreux ouvriers venus pour reconstruire la ville.

 

Camp-hôtel. Richard (Paris), architecte. 1er février 1919

 

Le calepinage est très caractéristique de l’époque.

 

Camp-hôtel. Richard (Paris), architecte. 1er février 1919

(source : Fonds Richard. CNAM/SIAF/Cité de l'architecture et du patrimoine/Archives d'architecture du XXe siècle)

 

Mais qui saurait dire où cet incroyable camp-hôtel d’une capacité de 265 lits fut construit ?

Constructions et cités provisoires

Un répertoire des baraquements, ouvert en 1924, nous livre de précieux renseignements sur l’emplacement des constructions provisoires, qui pour certains d’entre eux, deviendront des cités. Les annotations de ce répertoire témoignent de la précarité des Arrageois : « Frédiani prévient qu’il a enlevé sa roulotte et que le terrain est libre » ; « baraquement édifié sans autorisation ». Certains baraquements sont la propriété du Bureau de bienfaisance. L’ensemble de la ville semble se couvrir de constructions provisoires. Outre les baraquements mentionnés dans les dessins ci-dessous, le répertoire mentionne des constructions provisoires pour des dizaines de boulevards, rues, places.

 

Cité de l’Abattoir : Certains terrains sont vendus à la Société Artésienne de Force et Lumière.

Demi-lunes sans électricité ni eau, sol fait de scories, entre ce qui est aujourd’hui le square Monnet et la rue Victor-Leroy. Dans les années 1949, certaines familles furent relogées au Petit bois Saint-Michel. 1

Cité Saint-Sauveur : Démolie, cette cité réapparut en 1945 pour les sinistrés du littoral. Les  constructions furent démontées dans les années 60. Aujourd’hui, elle laisse place au jardin du Rietz.1

Newcastle : ville anglaise, marraine de la ville d’Arras à partir de 1918. Elle accorda à Arras une subvention de 750 000 francs 2.

 

1 - Rose-Marie Normand, La Cité des Jardins racontée par ses habitants de 1930 à nos jours, Médiathèque municipale d’Arras, 1998.

2 - Séphora Nowicki, La Reconstruction d’Arras : un emblème de conservatisme ?, Mémoire de recherche, Sciences Po Lille, 2018, p. 34

 

source : archives municipales
source : archives municipales
source : archives municipales
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