Sommaire
24 mai 1940 - 1er septembre 1944
Parfois, l’image de cette Grande Destruction et de cette Grande Reconstruction s’estompe. La douceur de vivre qui inonde les terrasses l'été est propice à l’oubli de cette tragédie, et pourrait conduire à vivre dans l’illusion d’une ville qui aurait été épargnée. Tout cela a-t-il vraiment existé ?
(source : album Coty, médiathèque municipale)
Les bâtisseurs de cette Grande Reconstruction nous ont légué une ville nouvelle et leur message de paix avec leurs corbeilles de fruits et de fleurs sculptées à nos frontons.
Georges Trassoudaine, architecte
« Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches
Et puis voici mon cœur… » écrivait Paul Verlaine.
Le cœur d’Arras n’eut pas le temps de battre paisiblement très longtemps…
24 mai 1940 - 1er septembre 1944
13 mai 1934 – 24 mai 1940 (ou comment imaginer pire cauchemar)
Entre la date de l’inauguration de la cathédrale – date retenue pour la fin de la Grande Reconstruction - et l’entrée des Allemands dans Arras, six années et onze jours se sont écoulés.
Pendant quatre longues années (jusqu’au 1er septembre 1944), ils occupèrent la ville, les édifices qu’ils avaient bombardés et détruits, et que nous avions reconstruits.
En juin 1940, le Nord et le Pas-de-Calais sont rattachés administrativement au commandement allemand de Belgique qui siège à Bruxelles. La région est isolée du reste de la France.
Désormais, c’est le général Karl Niehoff, à la tête de l’OFK 670 (Oberfeldkommandatur 670) basée à Lille qui a les pleins pouvoirs pour administrer la région. À un échelon inférieur, la Felkommandatur 678, qui deviendra la Kreiskommandantur 678 en février 1941, administre le département du Pas-de-Calais et installe ses services dans l’Hôtel de Ville d’Arras. Ces administrations cumulent les compétences militaires, mais aussi administratives et économiques.
Le droit pénal allemand s’applique sur l’ensemble du territoire occupé, ce qui entraîne l’ouverture d’un tribunal militaire dans la salle du conseil municipal d’Arras. Il est chargé de juger tous les actes ayant trait à la sécurité des troupes allemandes et au maintien de l’ordre. Les services administratifs du tribunal s’installent dans les bureaux de l’Imperial War Graves Commission, place Foch. On trouve dans les mêmes locaux le service qui délivre les “ausweis” (les laisser-passer).
La région Nord – Pas-de-Calais est fortement militarisée. De nombreux aérodromes sont implantés dans la région en particulier dans le secteur d’Arras (Fresnes-les-Montauban, Thélus, Vitry-en-Artois…). À Arras se concentrent les postes de commandement de division de l’armée de terre (la Heer) et de l’armée de l’air (la Luftwaffe).
L'arrivée des garnisons et de l'administration allemande entraîne la réquisition de nombreux bâtiments publics et privés. (texte : ville d'Arras)
Traduction des légendes
1 – Gare : Point de soins et de ravitaillement de la Croix Rouge Allemande (DRK : Deutsches Rotes Kreuz)
2 (place de la Gare) – Hotel Terminus
3 (place de la Gare) – Hotel Moderne
4 (rue Chanzy) – Mess : Nourritures et boissons peuvent y être achetés, sous l’unique condition d’être un membre de l’armée allemande. On y trouve également des journaux, et parfois même des souvenirs. Les hommes de troupes y ont accès, ainsi que les officiers.
5 (place de la Gare) – Services administratifs du tribunal militaire de l’Oberfeldkommandantur (dans les locaux de l’Imperial War Graves Commission). Ces mêmes locaux renferment le service qui délivre les « Ausweis » (laisser-passer).
6 (boulevard de Strasbourg) – Hôtel de Strasbourg
7 (rue Gambetta) – Librairie allemande vendant des livres, des journaux, des cartes routières en allemand, des cartes postales et même de petits guides touristiques des grandes villes de la région.
8 (rue Saint-Michel) – Administration des logements militaires (HUV : Heeresunterkunftsverwaltung), gérant l’intendance des cantonements de l’armée de terre allemande.
9 (rue Emile-Legrelle) – Dentiste de l’armée de l’air
10 (rue Gambetta) – Standard téléphonique de l’armée de terre
11 (boulevard Carnot) – Succursale de l’Oberfeldkommandantur (Trafic urbain et Transports en commun)
12 (rue Abel-Bergaigne) – Hôtel Raoul
13 (rue Saint-Michel)– Hôtel Continental
14 (rue Gambetta) – Hôtel du Commerce : on apprendra bien après la guerre que cet hôtel cachait l’AST (service de contre-espionnage de l’Abwehr) d’Arras, nommé l’« ange gardien des V1 ». Ses missions consistaient à surveiller les terrains de lancement des bombes volantes dans le Nord de la France et d’y convoyer les engins depuis la frontière allemande. Ce service d’espinnage fit de terribles dégats dans les rangs de la résistance dans toute la région.
15 (rue Gambetta) – Collège de jeunes filles (actuel lycée Gambetta)
16 (boulevard Faidherbe) – Service de construction des armées – Sa mission consistait à encadrer et réaliser les projets de constructions et de mesures d’infrasturctures. Il pouvait aussi être chargé de l’approvisionnement de matières premières (béton, bois…)
17 (Grand’ Place) – Hôtel Rosa
18 (Petite Place) – Epicerie, magasin d’alimentation
19 (Hôtel de Ville) – Kreiskommandantur – (Quartier Général). Administre le département du Pas-de-Calais depuis l’Hôtel de Ville d’Arras. Cette administration cumule les compétences militaires mais aussi administratives et économiques. Le tribunal militaire allemand prendra place dans la salle du conseil municipal
20 (rue Emile-Legrelle) – Cinéma militaire (dans le Casino)
21 (rue des Quatre-Crosse)– Caserne Lévis
22 (rue Ernest-de-Lannoy) –Bureau de Poste
23 (place du Théâtre) – Théatre de ville
24 – Hôtel Central
25 (place de la Croix-Rouge) – Hôtel de l’Univers
26 (rue des Quatre-Crosses) – Foyer militaire d’été – déstiné à la détente des soldtats (point presse, jeux de société…)
27 (rue des Capucins) – Foyer militaire
28 (rue Beffara) – Bureau de district de l’armée de l’air (Luftwaffe)
29 (place Victor-Hugo) et 36 (rue Saint-Maurice) : Hôpitaux de l’armée de l’air
30 et 40: – Cimetières
31 (rue des Augustines) – Institut des sourds et muets
32 (abbaye Saint-Vaast) – Bureau du maire
33 – Caserne Schramm
34 (boulevard Crespel) – Parc de réparation des véhicules militaires
35 – Citadelle
37 (rue Roger-Salengro) – Station essence de l’armée de terre
38 – Préfecture
39 (rue des Carabiniers-d’Artois) – Prison
41 – Parking automobile de l’armée – Caserne des Gardes Mobiles
Depuis la Grand’ Place, face au café Rosa, lignes vers Béthune, Lens, Loos en Gohelle, Bertincourt, Doullens, Saint -Léger, Bucquoy, Frévent
Depuis la Place du Rietz, ligne vers Cambrai.
Merci à Christophe Sélame pour ces précieuses précisions.
Afin de permettre aux soldats allemands de visiter Arras et l’Artois, ce livret fut édité :
La France sous l'Occupation 1940-1945 - Les administrations allemandes et françaises.
Fanfare allemande sur la petite place, 1941 - A l’angle de la petite place, 1942 - Immeuble réquisitionné par deux officiers allemands (35 boulevard Faidherbe), 1942. (source : fonds documentaire Alain Jacques)
La place du Maréchal Foch, la rue Gambetta, la rue de Lille (aujourd'hui rue Roger-Salengro). (source : collection Jean-Claude Leclercq et André Coillot pour la dernière photo)
(source : collections privées)
Les premiers actes de résistance
Avec la déroute des armées alliées, des habitants recueillent, soignent et cachent de nombreux soldats français ou britanniques. Ces gestes spontanés sont les premiers faits de résistance de la part de la population.
Dès l'été 40, des actes individuels de sabotage se multiplient. Blanche Paugan est la première résistante à être arrêtée et condamnée à mort le 17 septembre 1940 par le tribunal nazi d'Arras pour avoir sectionné à de nombreuses reprises des fils téléphoniques. Sa peine de mort est commuée en travaux forcés à perpétuité.
A ces actes individuels se substituent différents réseaux qui se structurent au cours des années 1941-1942. C'est l'invasion de l'URSS le 22 juin 1941 qui est à l'origine de la montée en puissance de la résistance communiste. Le 21 juillet a lieu l'une des premières tentatives de sabotage de la voie ferrée sur la ligne Arras-Lens. Cette action est menée par deux communistes : Marcel Dandre, tué au cours de l'explosion, et Albert Bekaert arrêté, torturé, jugé et exécuté. Il est le premier fusillé depuis le début de l'Occupation à la prison Saint-Nicaise d'Arras.
Les Allemands utilisent également la déportation comme moyen de répression. Plus de 7 000 personnes du Nord-Pas-de-Calais seront envoyées vers les prisons et les camps du Reich. On recense 80 Arrageois morts en déportation. (texte : ville d'Arras)
Les Arrageois victimes des privations
Avec l'arrivée des Allemands, le quotidien des Arrageois est bouleversé. C'est désormais une vie synonyme de privation et de restriction qui frappent tous les domaines.
Un couvre-feu est instauré à partir de 23h00 et les habitants subissent de nombreuses restrictions. A partir de l'automne 1940, des cartes d'alimentation sont mises en place. Elles fonctionneront jusqu'en 1947.
Les rations alimentaires sont composées de 300gr de pain, 60gr de viande par jour et de 100 gr de beurre par semaine ; des quantités qui diminuent rapidement. Avec le temps, les cartes de ravitaillement s'étendent à d'autres denrées comme l'essence, le charbon, le café, la confiture, puis le tabac, les savons ou les textiles. Les cartes de ravitaillement sont distribuées en début de chaque mois par ordre alphabétique. Après la queue en mairie pour obtenir sa carte, s'en suit une nouvelle attente devant les commerces. Le comité de ravitaillement, installé à partir de mai 1942 à l'abbaye Saint-Vaast, doit gérer la distribution des cartes mais également organiser la répartition des approvisionnements auprès de chaque commerçant, selon le nombre de clients inscrits chez lui.
Les restaurants sont soumis au même régime, le client doit donner des tickets de pain, de viande... Les pénuries se font également ressentir pour les chaussures, le textile...
La proximité de la campagne permet aux Arrageois d'améliorer l'ordinaire avec l'achat de viande, produits laitiers, légumes… (texte : ville d'Arras)
Le marché du samedi, place de la Vacquerie - Une longue file d’attente devant un commerce (angle de la rue des Chariottes et de la rue du Four-Saint-Adrien) - cartes et Tickets de rationnements. (source : fonds documentaire Alain Jacques)
D'avril à juin 1944, Arras a payé un lourd tribut suite aux bombardements alliés
Entre fin avril et mi-juin 1944, la ville est bombardée à quinze reprises par l’aviation alliée dans le cadre des opérations militaires devant conduire à la libération du pays.
Les Arrageois ont été mis à rude épreuve au printemps 1944 avec les terribles bombardements sur les installations ferroviaires. L’objectif des Alliés : entraver la communication de l’ennemi et donner le change sur le lieu du débarquement qui se prépare en secret en Angleterre.
Les quartiers environnant les gares sont gravement atteints. Le 27 avril, deux vagues de forteresses volantes font 58 victimes dont le docteur Brassart venu secourir les victimes et blessés. Après le passage d’une première vague de 36 bombardiers américains, une seconde vague surprend bon nombre d’habitants qui sortaient des abris et venaient constater les dégâts causés aux installations de la gare et aux cités des cheminots. Le bilan est lourd.
Au lendemain de ces bombardements, les dégâts causés aux installations de la gare sont tels que les autorités allemandes donnent l’ordre d’évacuer le dépôt des locomotives vers la gare de Boisleux-au-Mont.
Le bombardement du 27 avril 1944, n’est que le premier d’une longue série. Le 1er mai, les bombes alliées font 10 morts. Les Arrageois voisins de la gare se réfugient dans les abris et décident d’y résider.
Le 7 mai, une bombe explose à l’intérieur de la cathédrale. Les bombardements se succèdent les 19, 20, 24 mai. Puis le 13 juin jusqu’à ce que le feu ravage entièrement la gare.
Du 27 avril au 13 juin 1944, Arras sera bombardée à 15 reprises : 2.800 immeubles sont atteints, 255 maisons sont complètement détruites. On dénombre 111 morts et de nombreux blessés.
Des témoignages permettent de se rendre compte de ce que les Arrageois ont vécu. Ainsi, lors de la séance du conseil municipal du 6 juin 1944 sont évoqués les 14 bombardements aériens subis depuis le 27 avril 1944, soit plus d’un millier de bombes tombées sur Arras.
Comme lors du Premier conflit Mondial, Arras a payé un lourd tribu lors de la Seconde Guerre mondiale. (texte : ville d'Arras)
Depuis le débarquement de Normandie, la ville et sa région attendaient les Libérateurs. Durant cet été 1944, les populations vont vivre au rythme des passages de troupes allemandes, des actions des résistants, des bombardements aériens, des chutes d’avions ...
Le 1er septembre 1944 les premiers chars anglais pénètrent dans Arras.
Le 1er octobre 1944 le général de Gaulle prononça un discours au balcon de l'Hôtel de Ville. Il fut reçu par René Méric, maire d'Arras. L'accueil de son fils Gérard, le 30 juin 2020 à Arras, nous permet de publier un portrait de René Méric (nous n'en conservions pas), une photographie inédite du général de Gaulle.
« Par Arras je reviens dans la capitale de mes résolutions. » 1
René Méric, maire d'Arras à la Libération
René Méric est né le 25 janvier 1895 à Marseille. Officier de l'ordre national de la Légion d’honneur, aviateur blessé en 1916, puis chef d’entreprise, il fut maire d’Arras en 1944-1945.
Elève à l’École polytechnique, promotion 1914, il s’engage volontairement pour huit ans le 20 août 1914. Promu sous-lieutenant de réserve il est affecté à l’artillerie de campagne avant d’être détaché à l’escadrille d’aviation MF20 le 9 avril 1916. Blessé le 7 novembre 1916 dans un accident lors d’un atterrissage, il est également abattu le 24 mars 1917 en combat aérien.
En 1919-1920, il reprend sa scolarité comme élève à l’École polytechnique.
Industriel, René Méric s’installe à Fourchambault pour développer la Société Saint-Sauveur. En 1936, il rejoint le siège de la société à Arras. Il devient président-directeur des usines de constructions métalliques Saint-Sauveur à Arras.
Nommé conseiller municipal d’Arras par le Préfet en 1941, il est nommé en janvier 1944 Maire d’Arras par la préfecture pour succéder à Lucien Gaillard, décédé en mars 1944 (Lucien Gaillard est Maire d'Arras de 1941 à 1944, il prend la suite de Fernand Lobbedez). Homme de conciliation, il est assez habile pour tenir tête à l’occupant tout en soulageant les misères de la population sous-alimentée et en apportant son aide à la Résistance (il couvre les activités clandestines des services municipaux (distribution de fausses cartes d’identité, etc.).
Confirmé dans sa fonction le 1er septembre 1944 par le Comité local de libération, il préside le 9 septembre 1944, la cérémonie en l’honneur des derniers fusillés de la citadelle. Il reste maire jusqu’aux élections municipales du 13 mai 1945, où la liste de Guy Mollet est élue (Devant ce qu’il estimait être une politisation du débat local, il avait refusé de se présenter aux élections municipales).
René Méric est élu président de la Chambre de commerce et d'industrie d'Arras lors du renouvellement partiel de décembre 1947, puis réélu en 1950. Il en sera président jusqu’à sa mort en novembre 1952.
Il meurt dans un accident d’auto le 8 novembre 1952 à St Laurent Blangy. Il habitait à Arras, route de Cambrai.
Le 8 mai 1945 n’est pas marqué par des manifestations particulières à Arras … La ville a été libérée le 1er septembre 1944. Huit mois se sont donc écoulés au moment de la capitulation, durant lesquels la ville a affronté différents problèmes : épuration des collaborateurs, problème du ravitaillement de la population, difficultés économiques et reconstruction...
A l'issue de cette seconde guerre, Arras compta de nouveau ses morts et les immeubles détruits : 500 victimes des bombardements ; 2 000 immeubles en ruine 2. Elle allait entamer sa Seconde Reconstruction...
La seconde grande Reconstruction
1 - Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre, tome 3 Le Salut, 1944 - 46, p. 27, édition de 1969.
2 - chiffres donnés lors du discours d'accueil du Général de Gaulle à Arras le 1er octobre 1944.
Commenter cet article