Cet article livre une analyse approfondie du plan d'aménagement d'embellissement et d'extension (P.A.E.E.) et de son plan d'alignement. Pour une approche grand public richement illustrée, nous vous renvoyons au livre :
La découverte du Plan d’Aménagement, d'Embellissement et d'Extension – élaboré avec René Danger et dont le rapporteur auprès de la Commission supérieure fut Léon Jaussely - revisite l’historiographie présentant une reconstruction uniquement à l'identique, un Plan d'alignement parcimonieux et échappant au contrôle de la Municipalité. Bien au contraire, elle fit résolument sienne la nouvelle science du début du XXe siècle, l’urbanisme, qui comptait ces derniers parmi ses précurseurs.
(N.B. : les archives municipales de la Grande Reconstruction n'étaient pas consultables avant 2006 ; elles étaient stockées dans les combles de l'Hôtel de Ville).
Question qui sera sous-jacente à cette partie :
La pièce maîtresse du P.A.E.E. fut son plan d'alignement. Quelle autre ville aurait-elle mis en oeuvre lors de la Grande Reconstruction un plan d'alignement si ambitieux ?
Sommaire
La loi Cornudet du 14 mars 1919
Historique du P.A.E.E. et de son plan d'alignement
Les différentes dénominations du plan d'alignement
Les objectifs bénéfiques du P.A.E.E. et de son plan d'alignement
Le financement du plan d'alignement
La mise en oeuvre du plan d'alignement
Les temps différents de la reconstruction
Comment expliquer les ruptures d'alignement ?
L'alignement des rues étroites et tortueuses
Le percement de la rue de la Madeleine jusqu'à la place des Etats
Les prolongements de rue du plan général des alignements au 1/1000e
L'exemple d'une acquisition d'un immeuble par la Ville avec les dommages de guerre
La reconstruction et l'ancien plan d'alignement
Les projets du plan d'alignement non réalisés
Les protagonistes du P.A.E.E. et de son plan d'alignement
Le plan d'alignement et les litiges
Un pan coupé qui pose problème...
Le P.A.E.E. : Arras bonne élève !
Le plan d'alignement vu par les journaux Le Lion d'Arras et Le Beffroi d'Arras
L'alignement aujourd'hui (épilogue)...
La loi Cornudet du 14 mars 1919
Cette loi d’urbanisme est obligatoire pour les villes de plus de 10 000 habitants et concerne aussi celles dévastées en partie ou en totalité par faits de guerre. L’idée est de faire émerger une ville nouvelle des ruines, avec, sous-jacente, une réflexion urbanistique favorisant la circulation, l’hygiène et l’esthétique.
Cette loi impose aux communes d’établir un plan d’aménagement, d’embellissement, et d’extension. Grâce à ce plan, les villes peuvent engager une reconstruction rationnelle.
Le plan doit comprendre :
- Un plan général des alignements déterminant les voies (leur direction, leur largeur), places, squares à créer ou à modifier. L’échelle recommandée est au 1/5000e ou au 1/1000e ; un plan d’alignement et de nivellement avec indication des caractéristiques dimensionnelles, il est recommandé les échelles de 1/200e ou 1/500e ;
- Un programme déterminant les servitudes hygiéniques, archéologiques et esthétiques ; les prévisions concernant la distribution de l’eau potable, les réseaux d’assainissement… ;
- Un arrêté du Maire pris après avis du Conseil Municipal et réglant les mesures prévues du plan et du programme.
La commune dispose d’un délai de trois ans pour élaborer le plan. Une commission départementale d’aménagement et d’extension des villes et villages sous la présidence du Préfet est chargée d’apprécier les projets. Sans plan d’alignement et de nivellement, le Maire ne peut engager aucune construction.
Après examen de la Commission supérieure, le 16 mars 1923 le Conseil municipal adopte un plan général d’aménagement et d’extension.
Les travaux d’application immédiate sont déclarés d’utilité publique le 26 octobre 1923 par décret présidentiel.
Le 1er août 1924, par décret présidentiel, est déclaré d’utilité publique le projet d’élargissement et de redressement (ou d’alignement) concernant soixante 1 rues, places, cours, pourtours et boulevards.
La loi Cornudet du 19 juillet 1924 concerne les zones d’urbanisation future et crée la procédure de lotissement.
1 - Cependant, 81 rues, places, cours pourtours et boulevards sont concernés si l’on se réfère au plan d’alignement et de nivellement au 1/200e. Pour les vingt-et-une rues non spécifiées dans le décret, neuf de ces rues ne sont pas concernées par les travaux d’application immédiate, et pour celles qui le sont, les travaux sont peu importants ou très peu importants (une seule maison, un pan coupé). Sauf pour la rue du Presbytère Saint-Nicolas où les travaux sont très importants…
Un des objectifs du PAEE était d’adapter la ville à la circulation automobile…
« L’automaboulisme
Cette expression n’est pas un néologisme puisqu’elle date de la Belle époque. Mais c’est un mot local puisqu’il naquit sous la plume d’un éditorialiste de la Vie arrageoise, petit journal du dimanche vendu de 1910 à 1914. Et qui dénonçait, en mai 1911, les « nouveaux aventuriers », les fous de la route pilotant des véhicules à quatre roues semant la terreur sur leur passage : « J’admire grandement les aviateurs, écrivait-il, mais les chauffards ! J’entends par là les amateurs qui font de l’auto une machine infernale et, jouent sans souci avec la vie des passants. Ils vont ainsi on ne sait où, sans but, pour le piètre amusement d’effrayer tout le monde et de manger de la poussière. »
A cette époque, la vitesse en ville était limitée à 30 à l’heure, mais les « bolides » roulaient déjà à 70 et, les vélocipèdes, en vogue depuis seulement 10 ou 15 ans ne tenaient plus le haut du pavé. Depuis 1900, plusieurs notables locaux dont le malteur Blondel, les frères Delansorne et le marchand Dumetz exhibaient leurs limousines à tout propos et faisaient école. Les Delansorne avaient commencé par le vélo, courant et organisant des courses, avant d’ouvrir un grand garage au 47 rue Saint-Aubert (Panhard et Levassor) et de se lancer dans le négoce automobile, dernière conquête de l’homme.
Les fêtes foraines s’étaient vite mises au diapason en montant des circuits d’autos à essence (ancêtres des auto-tamponneuses) qui constituaient les manèges dernier cri des fêtes d’Arras, cela dès avant 1900. Et les intrépides se pressaient sur leurs pistes, encadrés et surveillés par des mécaniciens en uniforme.
L’émulation était telle que dès 1904 un petit constructeur arrageois, appelé de Retz, travaillant sur le carburateur à pétrole, avait présenté à Paris un modèle pouvant fonctionner à l’essence et à l’alcool, et qui lui valut un second prix. »
Article provenant de L’Abécédaire, Ville d’Arras, 1998
Historique du P.A.E.E. et de son plan d'alignement
L’établissement d’un plan d’alignement présuppose la volonté de reconstruire la ville à son emplacement d’avant la guerre. Mais dès 1916 le journal Le Lion d’Arras lance une enquête intitulée « Nos ruines. Faut-il restaurer ? Reconstruire ? Monuments et rues. » (25 mai 1916). Le souhait y est exprimé de créer une ville neuve, miroir de celle détruite laissée telle quelle, en témoignage de la barbarie allemande, comme un Mémorial. Finalement, la reconstruction « à l’identique » est décidée. 1
◙ Dans sa correspondance avec Alicé Advielle, Victor Leroy écrit, le 31 août 1915 : "nous avons eu la 1ere réunion de la commission de rénovation d’Arras".
◙ Avant même la promulgation de la loi Cornudet (14 mars 1919), la Ville étudie de nouveaux alignements. Le conseil municipal du 22 juillet 1917 crée une commission extra-municipale, composée d’élus et de techniciens. La sous-commission « travaux communaux, alignement, expropriations » se réunit le 25 et le 26 août 1917. En 1918 elle publie un rapport 2 « Avant-projet pour les nouveaux alignements de la Ville » ; Victor Leroy en est le rapporteur.
Ce rapport projette l’établissement d’un tramway dans les rues Saint-Aubert et Ernestale. Leur largeur serait portée à au moins 17 mètres.
Le plan qui accompagne le rapport a été mis au point par l’architecte Ludovic Roussel.
◙ Un deuxième plan général d’alignement est adopté lors du Conseil Municipal du 5 septembre 1919. Ce plan est réduit dans le but de ménager les finances de la Ville et d’activer les reconstructions.
Lors de l’avis d’enquête il est contesté de la manière suivante par un Secrétaire Général de la Mairie en retraite qui déclare « que le plan d’alignement impose son ajournement pur et simple jusqu’à l’installation du nouveau Conseil municipal, seul compétent pour en assurer l’exécution. La minorité sortante qui l’a examiné n’avait plus les pouvoirs voulus par suite du mandat périmé depuis 3 ans, n’était plus en nombre 3 et n’avait plus qualité pour décider du plan d’alignement ».
Victor Leroy est élu maire le 10 décembre 1919.
◙ Un nouveau plan général des alignements est dressé le 3 mai 1920 par l’architecte de la Ville Ludovic Roussel. Ce plan est composé de quatre feuilles à l’échelle 1/1000e et fait l’objet d’une nouvelle enquête publique.
La suite de l’historique nous est livrée par une note :
« Un dossier fut présenté par la Ville d’Arras et adressé à M. le Ministre des Régions Libérées à la date du 1er octobre 1921. […]
Ce projet dont la réalisation complète aurait absorbé environ 60 millions, ramené dans l’intervalle à 33 millions ne précisait pas d’une façon suffisamment nette les opérations à subventionner par l’Etat.
Dès octobre 1921, Monsieur Loucheur ministre des Régions Libérées en accordant un acompte de 2 millions demandé par la Ville pour faire face aux premières dépenses d’application immédiate précisa que l’aide de l’Etat ne pourrait probablement pas dépasser 10 millions.
C’est sur cette base de 10 millions que fut poursuivie l’étude du projet […].
La constitution du dossier définitif demandé nécessitait l’existence d’un plan précis de la Ville à une échelle suffisamment grande pour la figuration des alignements prévus en application immédiate. Ce plan n’existait pas et dut être levé. Un retard de près d’un an se produisit de ce fait. Ce n’est que fin novembre 1922 que l’entrepreneur chargé du travail par la Ville et le Service de Reconstitution Foncière put fournir les éléments indispensables à la constitution de l’étude du plan d’alignement proprement dit.
Enfin le 16 mars 1923 le Conseil municipal de la Ville put adopter définitivement : 1° un plan général d’aménagement et d’extension de la Ville ; 2° les plans d’alignements d’exécution au 1/200e des 60 rues ou places où des opérations d’application immédiate étaient envisagées ; 3° les mesures financières nécessaires pour la réalisation.»
1 - Wiart Laurent, Arras, ville de l’arrière du front pendant la Première Guerre mondiale : une cité martyre oubliée, mémoire de maîtrise, 1996, p. 92 et suivantes.
2 - Conseil Municipal du 4 juillet 1919, motion de M. Paris : « En décembre 1918 vous avez voulu que rien ne fut négligé pour entreprendre d’urgence la tâche de reconstruction. Il vous était exposé qu’un plan d’alignement était la base indispensable de tout travail utile et la condition sine qua non du concours de l’Etat. Devançant les autres villes sinistrées, vous avez adopté un projet préparé de longue main par vos commissions pendant la guerre. Ce projet faisait le plus grand honneur à l’initiative et au zèle de notre concitoyen M. Victor Leroy. Il réalisait tout ce que l’esprit pouvait concevoir en fait d’améliorations et d’embellissements. »
3 - Emile Rohart-Courtin est maire depuis le 19 mai 1912. Au 1er novembre 1919, l’effectif légal de la municipalité n’est plus que de 22 membres sur 27.
Les différentes dénominations du plan d'alignement
La Ville réalise un plan à l’échelle 1/1000e dit « Plan général des alignements » et à l’échelle 1/200e un plan dit « Plan d'alignement et de nivellement des voies et places publiques » (il servit à l’exécution des alignements).
On parle aussi de l’élargissement et du redressement des rues.
Pour ces différentes dénominations, nous parlerons du « plan d’alignement» (c’est ainsi qu’il est dénommé lors des Conseils Municipaux).
Plan général des alignements, section B dite de Saint-Vaast, échelle 1/1000e, 4 septembre 1919. Il concerne le deuxième projet de plan d’alignement voté lors de la séance du Conseil municipal du 5 septembre 1919. Il est signé par le Maire Emile Rohart-Courtin et par l’architecte de la Ville Ludovic Roussel. Nous voyons (portion du plan agrandi) le projet de création du boulevard de Marseille – marraine de guerre de la Ville d’Arras – entre la place du Théâtre et la place Saint-Etienne. (source : Archives départementales du Pas-de-Calais).
Plan général des alignements, échelle 1/1000e, 1923 - dans l'ordre : cartouche d'une des feuilles, les 4 feuilles avec en détail les feuilles 2 et 4 - Légende. Vert : terrains à incorporer au domaine public – programme d’application immédiate. Jaune : terrains à incorporer au domaine public – programme de deuxième urgence. Rouge : emprise sur la voie publique à aliéner. (source : archives municipales)
Le plan d'alignement et de nivellement des voies et places publiques de 1923 à l’échelle 1/200e compte 68 feuilles (une feuille : deux pages en vis-à-vis). Il mesure 70 sur 98 cm (140 cm ouvert). C’est le plus grand format des livres, appelé in-plano. La production d’un plan d’alignement est rendue obligatoire par la loi du 5 avril 1884 et la loi Cornudet du 14 mars 1919. Le lever de ce plan fut approuvé lors de la séance du Conseil municipal du 27 janvier 1922. Il a été levé par René Danger.
Le lever de l’axe porte Baudimont – gare a été effectué en mai 1922. Les dernières feuilles du plan sont réalisées en novembre 1922. (source : archives municipales)
projet d'alignement de la rue du Vert-Galant, plan au 1/200e, 1923 (d'après le plan d'alignement et de nivellement des voies et places publiques de 1923 à l’échelle 1/200e) - source : archives municipales
projet d'alignement de la rue de la Housse, plan au 1/200e, 1926 (d'après le plan d'alignement et de nivellement des voies et places publiques de 1923 à l’échelle 1/200e) - source : archives municipales
Les dossiers d’expropriation conservent des plans des propriétés à acquérir et nous offrent une vue d’ensemble pour chaque rue concernée.
Nous présentons un détail de l'alignement de la rue Saint-Aubert en pdf (de la rue de Turenne à la rue des Agaches). Ce document permet de découvrir les projets d'alignement parcelle par parcelle, et d'entrevoir le travail titanesque entrepris !
Le document complet de la rue Saint-Aubert mesure 31 cm sur 280 cm ! Il s’intitule Elargissement et redressement de la rue Saint-Aubert, plan et état parcellaires des propriétés à acquérir ; il a été dressé par Marcel Gendrot, ingénieur, le 30 mai 1926. Ce plan est une quasi-copie du Plan d'alignement et de nivellement des voies et places publiques de 1923 (à la même échelle). Il permet d’avoir une vue d’ensemble de la rue Saint-Aubert, alors que dans le plan de 1923, composé de 68 feuilles, la rue est représentée sur plusieurs pages.
Légende - en vert et jaune : à incorporer au domaine public communal - rouge hachuré : immeubles reconstruits à l’alignement.
B : construction en bois
Br : construction en brique
Mo : construction en moellons
PT : construction en pierre de taille
E : étage (et le nombre)
S : construction solide
M : construction en médiocre état
V : construction en état de vétusté
R : construction en ruines
N : construction neuve
Notons que d'après notre travail de comparaison avec le cadastre actuel, le programme d'application immédiate (vert) a été quasi intégralement réalisé, tandis que celui de deuxième urgence (jaune) ne l'a pas été.
source : archives municipales
Les objectifs bénéfiques du P.A.E.E. et de son plan d'alignement
Naissance d'une science des villes : l'urbanisme
Au début du 20e siècle, est fondée la Société française des urbanistes qui participe activement à la future loi Cornudet sur les plans d’aménagement des villes. Elle porte une réflexion sur l’organisation rationnelle de l’espace urbain (le mot urbanisme – la science des villes - apparaît en 1910).
Cette société a parmi ses membres Léon Jaussely, qui examinera le plan d’aménagement d’Arras, les géomètres-experts Danger (René Danger a levé le plan d’alignement au 1/200e d’Arras)
Dans son livre Cours d’urbanisme 1, René Danger, géomètre-expert, urbaniste, co-fondateur de l’ordre des Géomètres-Experts, co-fondateur de la Société des plans régulateurs de villes, professeur à l’Ecole spéciale de travaux publics, aborde les travaux qu’il a menés à Arras pour l’élaboration du plan d’alignement de la ville.
La science des villes appliquée à Arras
En 1918, la sous-commission « travaux communaux, alignement, expropriations » publie un Avant-projet pour les nouveaux alignements de la Ville. Elle exprime le souhait d’une cité mieux distribuée, propice à la circulation ; leur parti pris d’esthétique urbaine (pour les places et l’Hôtel de Ville) ; leur souci d’hygiène et de salubrité.
L’Avant-projet pour les nouveaux alignements de la Ville aborde ainsi l’hygiène et la salubrité dans le quartier du Rivage :
« Nous entrons dans le quartier le plus populeux de la ville, mais aussi le plus mal partagé sous le rapport de l’hygiène. Le déclassement a quelque peu dégagé les abords de la rue du Crinchon ; plusieurs propriétaires ont fait des sacrifices pour améliorer leurs immeubles. Mais combien encore de maisons vieilles, malsaines, mal entretenues, où de nombreuses familles sont enterrées dans des chambres étroites mal aérées et parfois même infectées 2. Les diverses municipalités qui se sont succédé depuis plus de cinquante ans, ont toutes été soucieuses d’améliorer le quartier des basses rues. Toutes, peut-on dire, y ont opéré quelques progrès ; mais le tracé défectueux des rues et le coût énorme d’une transformation radicale ont été des obstacles impossibles à surmonter en quelques années.
Aujourd’hui, après le bouleversement occasionné par les obus, une reconstitution presque générale s’impose. Espérons, cette fois, qu’un bienfaisant concours de l’Etat permettra à nos dirigeants de réaliser, dans ce quartier intéressant, l’habitation saine et à bon marché en bordure de rues plus larges, avec un réseau d’égouts entraînant au loin les eaux souillées et les immondices. »
C’est le même constat que fait le Commissaire enquêteur - Eugène Minelle - à l’occasion du plan d’alignement dressé le 3 mai 1920 :
[la ville] comprend un quartier populeux déshérité, déprécié, rempli de ruelles étroites où l’hygiène est inconnue et que les habitants d’Arras connaissent bien sous le nom de « Basses rues ».
Les auteurs du plan actuel se sont posé le problème suivant :
Rendre la Cité parfaite.
Améliorer la Ville qui représente le centre principal des affaires.
Transformer sa partie des Basses rues, la sortir de son isolement en la rattachant par de nouvelles percées au reste de la Ville ; la sillonner de nouvelles rues donnant de l’air et de la lumière à celles qui n’en avaient pas ou trop peu […], faire surgir des ruines d’Arras, dans un avenir plus ou moins éloigné, une nouvelle Ville répondant mieux aux principes modernes de l’Urbanisme […].
Dans son Projet de règlement de voirie et d’hygiène adopté lors du Conseil municipal du 1er juin 1923, la Ville développe ses mesures hygiénistes 3 :
article 121 Salubrité des habitations
« Les habitations seront disposées de manière à être largement aérées, éclairées, ensoleillées le plus longtemps possible.
Le sol naturel sur lequel seront construites les habitations devra offrir toutes les garanties de salubrité. »
article 125 Cabinets d’aisances
« Dans toute maison, il y aura par appartement ou logement, à partir de deux pièces habitables (non compris la cuisine), un cabinet d’aisances. […]
Les cabinets d’aisances installés dans les maisons ne communiqueront directement ni avec les chambres à coucher, ni avec les cuisines.
Les cabinets d’aisances seront munis de revêtements lisses et imperméables, susceptibles d’être facilement lavés ou blanchis à la chaux. »
article 128 Pièces destinées à l’habitation
« L’habitation de nuit est interdite dans les sous-sols. […] Chacune de ces pièces [celles du rez-de-chaussée et aux étages] sera éclairée et aérée sur rue ou sur cour au moyen d’une ou de plusieurs baies dont l’ensemble devra présenter une section totale ouvrante au moins égale au 1/6 de la superficie de ladite pièce. Les jours de souffrance ne pourront jamais être considérés comme baie d’aération ou d’éclairage.»
M le Maire déclare lors des débats: « […] pour les quartiers neufs, il importe que les réglementations nouvelles, notamment celles réclamées par nos hygiénistes, trouvent leur application stricte. »
« Il nous est possible actuellement d’envisager les conséquences financières de ce projet qui donnera à notre cité les allures d’une ville moderne et permettra de réaliser les conditions d’hygiène publique et d’habitabilité qu’on pouvait demander. » (Conseil municipal du 16 mars 1923).
Dans une note nous trouvons détaillées les « directives qui ont présidé à l’étude du plan d’alignement de la ville d’Arras ». Cette note précise que la ville était détruite au 3/4 au lendemain de la guerre.
Le souci premier de ce plan d’alignement est de faciliter la circulation automobile en modifiant dans de larges proportions les grandes artères de la Ville. « Cette nécessité se montre, en cette époque de reconstruction, plus importante encore, alors que dans un élan d’activité admirable ARRAS se relève de ces ruines, attirant ainsi tout un peuple nouveau.
Il s’agit d’établir de larges courants de circulation dont les principaux comprendront :
- Rues GAMBETTA, ERNESTALE, St-AUBERT,
- Rue MEAULENS, Place Ste-CROIX, GRAND’ PLACE,
- BOULEVARDS EXTERIEURS,
- de dégager l’HOTEL de VILLE et plusieurs monuments publics comme la CATHEDRALE, l’EGLISE St JEAN BAPTISTE, afin d’aérer ces quartiers et au besoin y établir des marchés.
- de dégager les voies d’accès importantes qui amènent commerçants et acheteurs sur les marchés de la PETITE PLACE, ainsi que les rues St GERY, RONVILLE, St NICOLAS.
- De créer de nombreux pans coupés aux carrefours les plus fréquentés de la Ville. […]
- Enfin d’aérer et de décongestionner les centres d’activité pour se rapprocher autant qu’on le pourra des exigences de la vie moderne.
Le plan présenté par la Ville a été réduit à son strict minimum. Il est indispensable de le réaliser sous peine de paralyser l’essor de la ville et son exécution doit être rapide. »
——
«En ce qui concerne les rues Ernestale, St Aubert et St Géry par exemple, il est indéniable que la substitution d’une voie de 14 m. avec des trottoirs de 3 m. de largeur pour les rues St Aubert et Ernestale, de 12 m. avec des trottoirs de 2m40 pour la rue St Géry, à des rues étroites et mal commodes de 5 à 6 m. de large à certains endroits et souvent sans trottoirs dans lesquelles la circulation est fatigante et dangereuse, est de nature à attirer dans ces voies déjà si fréquentées une affluence de passants et par conséquent d’acheteurs encore plus considérable ». (rapport municipal sans date)
Le rapport note l’augmentation des prix sur les achats d’immeubles et de fonds de commerce.
Les bénéfices pour les propriétaires et les commerçants
« […] les travaux projetés, en facilitant la circulation du public dans les artères élargies, profiteront directement au commerce de l’exploitant et par conséquent indirectement au propriétaire de l’immeuble qui pourra tirer de son immeuble un loyer proportionnellement plus élevé.
Au point de vue habitation, le rescindement diminue le nombre de pièces de l’immeuble. Mais il y a lieu de ne pas perdre de vue tout d’abord que nous avons affaire à des immeubles dont le taux de destruction oscille de 60 à 100 % et que le propriétaire conserve l’entière disposition de l’intégralité de son indemnité de dommages de guerre. Il a donc, dans une certaine mesure la possibilité de disposer en hauteur ce qui ne peut être obtenu en surface.
D’autre part, dans le cas d’un immeuble relativement peu endommagé, l’indemnité que le propriétaire reçoit de la Ville pour la valeur vénale du terrain et des constructions sur l’emprise représente pour ce propriétaire un capital dont le revenu compense la diminution de la valeur locative de son immeuble et dont il peut ainsi sans dommage pour lui faire ristourne à son locataire.
En pratique, vu le grand intérêt commercial des immeubles des rues St-Aubert et Ernestale par exemple, l’administration municipale est bien persuadée que la diminution du nombre des pièces habitables ou la réduction de la surface de ces pièces ne se traduira pas par une diminution sensible des loyers. Au contraire la réalisation des travaux si impatiemment attendus, d’une utilité incontestable aussi bien pour les riverains que pour la collectivité provoquera très certainement une augmentation du prix des loyers dont profitera en premier lieu le propriétaire en même temps que l’exploitant du commerce installé dans l’immeuble. » (livret Calcul des offres légales, sans date)
Un autre rapport note : « Mise en valeur des propriétés, car en sus de la plus-value inévitable et considérable du pas de porte, le propriétaire a une occasion inespérée de moderniser son immeuble sans bourse délier. Il pourra en effet réaliser dans de nombreux cas grâce à l’indemnité complémentaire payée par la Ville ce qu’il n’aurait pu faire s’il n’avait disposé que des seules indemnités de dommages de guerre.
Dans cet ordre d’idée, on peut même dire que nous sommes allés au devant du désir secret de nombreux propriétaires qui ne regrettaient qu’une chose c’est que leur immeuble n’ait pas été entièrement détruit par fait de guerre. (sic !)
Mise en valeur des fonds de commerce par le fait même de leur exploitation dans des constructions modernes et aussi par suite des améliorations à la voirie qui ne pourront manquer d’entraîner une fréquentation plus intense des artères améliorées et par conséquent des magasins en bordure. » (livret Considérations particulières qu’il y aurait intérêt à développer devant le Jury en sus des considérations générales sur l’expropriation, sans date)
Ces photographies prises en 1922 – avant la mise en œuvre du PAEE et de son plan d’alignement – , et pour lesquelles en grande partie nous sommes bien en peine de pouvoir identifier la rue, révèlent l’état de délabrement de la ville et ses blessures après quatre années de destructions. Nous comprenons mieux la volonté des élus de reconstruire en appliquant le précepte « l’air pur, l’eau propre et la lumière ». (source : Médiathèque municipale)
Rues identifiées des photographies ci-dessus.
1 - Danger René, Cours d’urbanisme, Librairie de l’enseignement technique Léon Eyrolles, 1933, p. 19
2 - recensement de 1790 : dans la rue Méaulens, sur 95 immeubles, 10 abritaient plus de 20 personnes chacun (dont 4 plus de 30), 31 entre 10 et 20 personnes. 800 personnes au moins vivaient et travaillaient dans des caves (source : Histoire d’Arras, p. 162)
3 - Lors du Conseil municipal du 22 juillet 1917 à l’occasion de la création d’une commission extra-municipale pour les travaux préparatoires à la restauration de la ville, un poste d’ « urbaniste » hygiéniste-médecin est à pourvoir. (Le Lion d’Arras du 25 juillet 1917)
L'Exposition du Progrès social. Lille-Roubaix, mai-octobre 1939
Exposition internationale en modèle réduit, elle a pour ambition d’ériger en modèle la politique de reconstruction des régions dévastées, de montrer qu’elles ont été un laboratoire d’expérimentations « en matière d’hygiène, d’assainissement, d’urbanisme, de lutte contre les fléaux physiques (feu, eau, etc.) […].»
Prévue de mai à octobre 1939, elle sera stoppée par la déclaration de la Seconde Guerre mondiale.
Le financement du plan d'alignement
Le programme d'application immédiate
En 1924
Les recettes
Un arrêté en date du 30 août 1924 fixe le montant de la subvention alloué à la Ville par le Ministère des Régions Libérées. Cette subvention accordée au titre de l’article 61 de la loi du 17 avril 1919 (Charte des sinistrés) est fixée à 8.500.000 francs, montant maximum et correspondant à 68% 1 des dépenses subventionnables (soit 12.485.059 francs).
M. Delattre, rapporteur lors du Conseil Municipal du 18 septembre 1924 précise : « En définitive, les ressources affectées à la réalisation des opérations d’application immédiate de notre plan d’alignement et de nivellement comprendront :
· 4 millions, montant de l’emprunt contracté par la Ville auprès du Crédit Foncier ;
· 8.500.000 fr., montant de la subvention du Ministère des Régions Libérées ;
· 730.000 fr., quote-part du Ministère des Travaux Publics ; [soit 9.230.000 francs attendus de l’Etat]
· Environ 3.400.000 fr., représentant le gain net réalisé par l’acquisition de droits à indemnités de dommages de guerre
· Soit au total : 16.630.000 fr. »
Le Rapport souligne que ces crédits sont inférieurs d’environ un million aux prévisions 2 .
En effet, l’Etat a rejeté des dépenses subventionnées 1.000.000 francs. Un courrier du Ministère des Régions Libérées en date du 30 août 1924 en donne la raison : « Au cours de l’examen du dossier définitif que vous m’avez adressé en date du 15 avril 1924, il est apparu qu’il avait été incorporé dans les dépenses subventionnables, des acquisitions d’immeubles relativement peu endommagés et qui, par application de l’article 61, ne sont pas susceptibles d’être subventionnées. ».
Les dépenses
Le montant des dépenses d’application immédiate est apprécié en date du 19 mars 1924 à la somme de 17.620.000 francs 3 dont la répartition entre les deux postes de dépenses s’établit comme suit :
· Acquisition de terrains et d’immeubles : 15.575.076 francs ;
· Travaux de voirie: 2.044.924 francs.
En 1929
Une note produite par la Ville, visée par le Maire, donne une situation budgétaire au 30 juin 1929 du compte hors budget «Opérations du plan d’alignement, compte subventionné par l’Etat ».
Dépenses : 18 574 363,96
L’excédent de dépenses s’élève à : 221 886,28 francs.
Il est couvert par une délibération en date du 20 avril 1929 affectant une somme de 500 000 francs grâce à l’importance de fonds libres de l’exercice 1928.
Le programme de deuxième urgence
Nous connaissons les dépenses du compte subventionné (elles concernent le programme d’application immédiate).
Il nous faut connaître celles liées au programme de deuxième urgence. Aucun document n’en fait la synthèse. Mais nous avons pu retrouver les dépenses du compte non-subventionné 5 du plan d'alignement dans le budget additionnel des exercices couvrant la période de 1923 à 1929.
Dépenses du plan d'alignement
Programme d'application immédiate : 18 574 363
Programme de deuxième urgence : 2 019 673
Total : 20 594 036 francs 7
Rappelons que, à titre de comparaison, le devis pour la reconstruction de l’Hôtel de Ville et du beffroi s’élève à 30 436 554 francs ; le résultat du compte administratif de l’exercice 1924 note en dépenses 6 713 081 francs ; le salaire ouvrier moyen (salaire nominal net annuel à plein temps) en francs courants est de 5 433 francs pour cette même année. (site de Thomas Piketty, Directeur d’études à l’EHESS).
1 - Selon un barème annexé au décret du 31 décembre 1921 prenant en compte le taux de destruction d’Arras.
2 - Le fractionnement du programme d’application immédiate en trois séries est adopté. Pour la troisième série, il est noté : « L’abandon des opérations de cette troisième série conduirait à une économie de 2.370.00 fr. environ. Cette somme est supérieure à la réduction de subvention que nous avons dû subir, c'est-à-dire que nous pourrons vraisemblablement réaliser une grande partie des alignements de cette dernière série. Nous aurons d’ailleurs la possibilité de recourir, pour ce groupe d’opérations, à l’expropriation conditionnelle, c'est-à-dire à la fixation par le jury, avant tout jugement d’expropriation, des indemnités qui seraient dues si la réalisation était poursuivie. Nous n’exécuterions de travaux que pour le montant du solde de nos ressources ».
3 - A titre de comparaison, le résultat du compte administratif de l’’exercice 1924 note en dépenses 6 713 081 francs
4 - Le total de la note laisse apparaître une erreur excédentaire de dix centimes.
5 - « Ce compte, que nous appellerons « Compte des dépenses immobilières non subventionnées faites à l’occasion de l’aménagement de la Ville », peut grouper, dès à présent, au crédit, le montant des fonds actuellement libres constitués, soit par la vente de propriétés privées de la Ville, telle la maison, 1, rue d’Amiens, soit par les indemnités de dommages de guerre d’immeubles privés qui ne seront pas reconstitués, caserne Montesquiou, abreuvoirs, etc. »(M. Delattre, rapporteur du projet d’alignement, d’aménagement et d’extension de la Ville, Conseil municipal du 16 mars 1923).
6 – Il s’agit d’un emprunt pour l’élargissement de la rue Sainte-Marguerite. Pourquoi cet emprunt spécifique ? Mystère !
7 - Mais quel est le coût global du plan d’alignement ? Dans le calcul des indemnités proposées aux propriétaires, la Ville prend en compte le montant des indemnités de dommages de guerre : elles peuvent être affectées par le propriétaire pour la mise en œuvre de l’alignement de son édifice. Une partie des 670 000 000 francs (dommages immobiliers des habitations particulières et de commerce) viendrait donc s’ajouter à ces 20 594 036 francs pour donner le coût global du plan d’alignement… - 14 372 920 euros de 2016, lissés sur six ans, jusque 1929, pour tenir compte de l’inflation.
Grand livre du compte subventionné : il pèse 15 kg ! (source : archives municipales)
Le 6e emprunt national de 1920
Quatre emprunts nationaux sont émis durant la Première Guerre mondiale. Un 5e emprunt, celui de la « Victoire des Alliés », est lancé en 1919 mais c'est le 6e, l'emprunt national de 1920, qui est considéré comme le plus massif, il vise la reconstruction du pays et le paiement des intérêts de la dette française.
Le Beffroi d’Arras, dans son édition en date du 21 octobre 1920 publie un article intitulé L’épiscopat et l’emprunt :
« Les cardinaux de France viennent de publier une Lettre collective demandant aux catholiques français de souscrire au nouvel emprunt.
Mgr Julien, dans une belle lettre pastorale, recommande à ses diocésains de souscrire aussi largement qu’ils le pourront.
Il dit les motifs pour lesquels l’Etat a besoin d’argent : réfection de l’outillage national, extinction des emprunts à court terme, amélioration du change, reconstitution des départements ravagés.
Sans nul doute, l’Allemagne devra payer les dommages de guerre. Ne disons pas, de peur qu’elle ne nous entende, que l’Allemagne ne paiera jamais. Disons bien haut, au contraire, qu’elle paiera de gré ou de force. Mais, en attendant, c’est à la France de faire les avances de fonds nécessaires à la restauration des régions dévastées. La France sera-t-elle assez riche pour cela ? Oui, si les français qui ont de l’argent veulent bien le prêter à la France.
… Vous avez cru en la France, et voilà pourquoi vous l’avez sauvée sur les champs de bataille de la guerre. Et vous cesseriez de croire en la France quand il s’agit de la sauver encore une fois sur le champ de bataille économique ? Tenez-vous donc plus à votre argent qu’au sang de vos veines ?
… En vain vous avez amassé une certaine somme. Elle reste au-dessous de son chiffre tant que le change vous sera défavorable… Ne tarissez pas les sources du crédit national, sous peine d’ôter toute valeur à ce que vous possédez.»
Souhaitons que tous comprennent ce langage de la raison et du patriotisme.
Le Beffroi d'Arras, 21 et 28 octobre, 4, 11 et 18 novembre 1920. Affiche du Crédit Lyonnais, source : Gallica.
Les réparations de la Première Guerre mondiale
L'Allemagne a remboursé ses dettes de la Première Guerre mondiale (article de La Tribune d'octobre 2010)
La mise en oeuvre du plan d'alignement
« En partant du Pont-de-Cité vers la gare, on suit les rues Saint-Aubert et Ernestale qui forment en quelque sorte l’axe de la ville ; elles ont une circulation très active mais, sinueuses et étroites, elles forment avec les voies urbaines plusieurs carrefours dangereux, surtout depuis la circulation toujours croissante de rapides autos et de lourds camions. Les trottoirs y sont généralement très étroits ; à certains endroits on ne peut même s’y garer des voitures [sic]. Ces rues réclament des élargissements urgents. Plusieurs des immeubles qui les bordent sont détruits, beaucoup d’autres gravement endommagés, très peu sont intacts. C’est une reconstruction presque générale qui s’impose, aussi devrait-on profiter des circonstances présentes, qui faciliteraient les expropriations pour l’établissement d’une large rue. » (Avant-projet pour les nouveaux alignements de la Ville, 1918, A. M. d’Arras 4 O 1 / 9).
La largeur de la rue Saint-Aubert va être ici portée à 14 mètres.
Lors de sa reconstruction l’édifice va donc perdre de sa surface pour augmenter la largeur de la voirie. (expropriation de la surface d’emprise, ici en vert)
A Paris, le Préfet Rambuteau prit la première loi permettant d’exproprier pour cause d’intérêt public en 1841.
Intéressons-nous au numéro 6 de la rue Saint-Aubert.
L’indication « 2EPTS » signifie : construction de deux étages en pierre de taille, construction solide.
Autres exemples de la mise en œuvre de l’alignement
L’immeuble frappé d’alignement ne doit pas être l’objet de travaux confortatifs, afin qu’ils ne soient effectués en pure perte.
Un courrier de novembre 1922 concernant le 68 rue Méaulens précise : « l’immeuble frappé d’alignement est compris dans notre programme d’application immédiate et les seuls travaux qui pourraient être autorisés seraient des travaux provisoires et non confortatifs, entièrement à la charge du propriétaire ».
Dans le courrier ci-dessous le propriétaire demande l’autorisation de poser sur le mur un placage en bois mouluré de 60 millimètres d’épaisseur, mesurant 4 m15 de largeur sur 3 m 45 de hauteur.
L’autorisation de réparation définitive date de 1929.
67, rue Saint-Aubert, date non précisée, après 1925 (source : Médiathèque municipale) - 67 rue Saint-Aubert, 2017
103 bis rue Méaulens, 1922 (source : archives municipales) - Maison alignée (enseigne "Tabac"), juin 1973. (En raison des travaux de rénovation et de réhabilitation du quartier Méaulens commencés dans les années 1970, les maisons alignées lors de la Grande Reconstruction n’existent plus.) - fonds documentaire Alain Nolibos
86 rue Saint-Aubert, 1926. On voit que l’alignement va modifier l’agencement intérieur des pièces. (premier étage). Cette maison a gagné en hauteur - 86 rue Saint-Aubert, 1927 - La maison telle qu’elle est aujourd’hui (source : archives municipales)
56 et 54 rue Saint-Aubert, 1927. La maison à gauche sur cette photographie est alignée. (source : archives municipales) - 2017
La rue Saint-Aubert (Collection privée) - La rue Saint-Aubert, 2017. Alors que la reconstruction de la Maison Bleue est achevée, nous observons que le début de la rue Saint-Aubert côté pair (numéro 4), n’est pas encore aligné. Le 4 rue Saint-Aubert obtient une autorisation de construire en 1924. Mais le propriétaire contestant l’accord à l’amiable avec la Ville concernant l’alignement, l’affaire est portée devant le tribunal et est close le 30 juin 1927. La parcelle expropriée a une surface de 12 m2 10. Le propriétaire demande 281 122 francs d’indemnités ; la Ville lui en offre 26 640 francs. Le tribunal accorde une indemnité s’élevant à 120 000 francs.
L'ancienne surface d'emprise de la maison - antérieure à l'alignement - se révèle lors de fouilles archéologiques !
Le pan coupé
Le pan coupé est l’une des réalisations du plan d’alignement.
« L’automobile rendait la circulation dangereuse dans ces rues étroites qui ne comprenaient que de rares pans coupés aux carrefours. » (note concernant les directives qui ont présidé à l’étude du plan d’alignement,1921)
La complexité de la mise en œuvre du plan d’alignement apparaît dans ce courrier : le pan coupé de l’angle de la rue des Gauguiers et du Vingt-Neuf-Juillet doit-il être de 5 mètres ou de 3 mètres ?, 1922
Les temps différents de la reconstruction
Nous avons comparé les dates de la mise en œuvre de l’alignement et de la reconstruction entre les rues Saint-Géry (Désiré-Delansorne) (du n°2 au n° 36) et Saint-Aubert (du n°2 au n°72).
Le plan d'alignement et de nivellement des voies et places publiques (échelle 1/200e ) lors de son élaboration, vers 1923, nous donne des informations sur l’état des édifices de ces deux rues.
Pour la rue Saint-Aubert du n° 2 au n°72 (de la place du Théâtre à la rue des Agaches), toutes les constructions sont, d’après la légende, solides. (Sauf : les n° 16, 26, 46 qui sont en état de vétusté ; les n° 28, 30, 32, 48, 50 qui sont neuves.) Toutes ces maisons sont concernées par l’alignement, sauf le n° 14.
Nous constatons sur la photographie ci-dessous l’état de solidité des maisons.
Nous supposons qu’elles ont subi des dommages ), puis, elles ont obtenu des autorisations de réparation vers 1922 1. Pour cette portion de la rue Saint-Aubert, la mise en œuvre de l’alignement s’est effectuée en grande partie entre les années 1926 et 1928. Pour le n° 74, l’autorisation de reconstruire date de 1936.
Pour la rue Saint-Géry du n°2 au n° 36 (angle de la rue Jacques Le Caron à la rue des Récollets), à part trois maisons déjà reconstruites, toutes sont en ruine.
Elles sont toutes concernées par l’alignement. Pour 6 maisons, et dès 1922, l’autorisation de reconstruire date avant le décret du 1er août 1924 déclarant d’utilité publique le projet d’élargissement et de redressement de 60 rues, places, cours, pourtours et boulevards. Ainsi, avant même la promulgation du texte, l’alignement déjà connu est appliqué et la reconstruction engagée.
1 - Arrêté autorisant la réparation de l’immeuble, n° 68 rue Saint-Aubert : « Sont seuls autorisés les travaux en bois à l’exclusion de toute maçonnerie pouvant présenter un caractère confortatif ».
Comment expliquer les ruptures d'alignement ?
C’est principalement en raison de la non application, en très grande partie, du programme de deuxième urgence.
Exemples :
la rue des Portes Cochères
Le programme d’application immédiate ne devait comprendre, à quelques rares exceptions près, que des immeubles gravement endommagés ou des terrains nus.
la rue des Jongleurs
Seul le programme d’application immédiate fut appliqué pour cette rue (expropriation de la surface d’emprise en vert sur le plan d’alignement.) Le décret du 31 décembre 1921, article 3 précise : « Pourront être subventionnées les opérations qui relatives à l’acquisition des terrains nus et de bâtiments ruinés ou gravement endommagés et à la construction de voies ou parties nouvelles, auront été reconnues absolument nécessaires à la réalisation des plans d’alignement et de nivellement. ».
détail du plan d'alignement - l'immeuble détruit - l'immeuble en reconstruction (souce : médiathèque municipale) - L'immeuble reconstruit (source : Courault / Archives départementales du Pas-de-Calais)
Par contre, nous supposons que les autres maisons de ce côté de la rue des Jongleurs ne furent pas ou peu endommagées : elles furent concernées par le programme de deuxième urgence (programme non subventionné) et ne firent pas l’objet d’une expropriation pour alignement. Elles gardent donc le style classique d’avant-guerre, tandis que celle - à l’enseigne aujourd’hui d’un coiffeur - touchée par l’alignement, arbore le style Art déco de l’époque.
De cette non application du programme de deuxième urgence, résulte pour ce côté de la rue des Jongleurs une légère rupture d’alignement de 70 cm.
L'alignement des rues étroites et tortueuses
"[la Municipalité] devra présenter à l’approbation de la Commission Supérieure, des propositions concernant l’élargissement ou la disparition des rues très étroites, des ruelles ou impasses […]"
Rapport de la Commission supérieure d’aménagement, d’embellissement et d’extension des villes. Léon Jaussely, 5 août 1923
Prenons conscience de ce que signifiait redresser une rue tortueuse ! En exemple, la rue du Presbytère Saint-Nicolas.
Dans un document intitulé « directives qui ont présidé à l’étude du plan d’alignement de la ville d’Arras » il est noté : « La ville d’Arras autrefois enserrée dans un étroit corset de fortifications est sillonnée de rues étroites, tortueuses.
Le long de ces rues se presse un grand nombre de maisons bâties très irrégulièrement. Le terrain avait été utilisé avec la plus grande parcimonie.
Les inconvénients d’une telle situation apparaissaient à tout visiteur avant les hostilités.
L’automobile notamment rendait la circulation dangereuse dans ces rues étroites qui ne comprenaient que de rares pans coupés aux carrefours. » (1921)
Les rues étroites et / ou tortueuses qui ont été alignées sont les suivantes : rue des Grands-Vieziers (en partie), rue du Cardinal, rue du Crinchon, rue du Noble (en partie), rue du Vert-Soufflet, rue Guinegatte, rue Sainte-Marguerite, rue de Justice, rue de la Cronerie, rue de la Housse, rue du Presbytère-Saint-Nicolas, rue Maître-Adam.
L’alignement de la rue du Cardinal et de la rue Guinegatte.
L’alignement de la rue de la Housse
Des habitants de la rue de la Housse et de la Petite Place, en 1928, écrivent une pétition, demandant la suppression du pignon du 56 Petite Place (voir photo ci-dessus) : « La circulation sera d’autant plus difficile que la largeur de la rue incitera les voitures à s’y engager alors que la sortie sera rétrécie au point de ne pas permettre le passage de deux voitures sans danger. Ajouter à cela le mouvement transversal de la rue des Balances et vous vous rendrez compte que ce carrefour ne sera pas sans présenter quelques dangers. »
La Commission municipale approuve la suppression de ce pignon.
Dans un courrier (17 juillet 1928), Pierre Paquet, Inspecteur général des Monuments historiques alerte sur le fait qu’il faudra engager des formalités de déclassement de la maison à démolir, fait excessivement rare et de plus obtenir du Ministre de l’Intérieur l’autorisation de modifier le plan d’alignement.
Dans un courrier adressé au Préfet (28 août 1928), Gustave Lemelle exprime son souhait de doter la cité d’une voirie en rapport avec les besoins de la circulation automobile moderne.
Le Ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts dans un courrier en date du 10 août 1929 adressé au Préfet, note : « J’ai l’honneur de vous informer qu’après examen de la question la Commission des Monuments Historiques a refusé à l’unanimité d’adopter le déclassement de cet immeuble dont la façade vient d’être restaurée par les soins du service des Monuments historiques. »
La création d’un portique au 56 Petite Place (voir photo ci-dessus), soulève quelques problèmes.
Camille Bidaud les détaille : « […] l’espace public prend une forme particulière à la gouvernance complexe puisque l’on introduit des statuts fonciers superposant privé/public selon les étages. Le rez-de-chaussée devient un passage public, les étages et caves un espace privé, par ailleurs, les façades, bien qu’appartenant aux propriétaires sont dessinées, reconstruites et avec servitude des Monuments historiques. Dans un tel cas, seul le propriétaire de la maison adjacente peut avoir accès aux étages et caves. Il n’est alors pas simple de le convaincre de racheter et financer des travaux pour une maison sans accès et avec de telles servitudes parcellaires. […] Le service des Monuments historiques, en 1929 finira par reconstruire à ses frais la maison qui sera plus tard vendue et rendue accessible aux voisins. » (Camille Bidaud, Plan d’alignement et reconstruction du patrimoine urbain après la Première Guerre mondiale : les places d’Arras, s. d.)
Dans le rapport de la Commission supérieure d’aménagement d’embellissement et d’extension des villes, en date du 21 novembre 1921, Léon Jaussely, rapporte : « Cette solution envisagée [portique vouté sous une maison d’angle] et déjà appliquée à la Grande Place de Bruxelles par le Bourgmestre Ch.[Charles] Buls, est des plus heureuse. »
Le percement de la rue de la Madeleine jusqu'à la place des Etats
Le percement de la rue de la Madeleine permet une continuité entre l’actuelle rue Paul-Doumer et la rue Emile-Legrelle et crée un axe parallèle à la rue Saint-Aubert.
Cette nouvelle voie a une longueur de 73 mètres sur 10 mètres de largeur.
Elle a commencé à être lotie en 1927.
Les prolongements de rue du plan général des alignements au 1/1000e
Le plan général des alignements au 1/1000e comporte des prolongements de rues qui concernent le programme de deuxième urgence ; ils ne sont pas représentés dans le plan d’alignement au 1/200e. Nous supposons que les terrains n’étaient pas lotis.
L'exemple d'une acquisition d'un immeuble par la Ville avec les dommages de guerre au bénéfice du plan d'alignement
à gauche : 15 rue de la Housse, façade sur la rue. Dossier des dommages de guerre établi par le cabinet de Gaston Lelouche, architecte, 28 août 1919
à droite : 15 rue de la Housse, mur mitoyen. Dossier des dommages de guerre établi par le cabinet de Gaston Lelouche, architecte, 28 août 1919 (source : archives municipales)
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Le devis estimatif des dommages de guerre dressé par l’architecte en date du 10 février 1920 s’élève à la somme de 83 500 francs. (dont 5 % d’honoraires d’architecte). Le dossier constitué par l’architecte comporte 24 pages.
Par une délibération en date du 24 mars 1922, le propriétaire cède à la Ville l’immeuble complètement détruit par faits de guerre, le terrain d’une superficie de 45 m2 ainsi que le droit aux indemnités de dommages de guerre pour la somme de 30 000 francs.
Une note signée par M. le Maire et relative à l’acquisition des dommages de guerre précise :
« L’indemnité de dommages de guerre à provenir de l’immeuble 15 rue de la Housse sera utilisée par la Ville pour la réalisation de son plan d’alignement et d’aménagement.
Elle servira en particulier à couvrir une partie des dépenses de rectification de voies, de percement de voies nouvelles, de création ou développement d’égouts, toutes dépenses imputables aux opérations d’alignement, d’aménagement et d’extension.
Pour la réalisation de ces travaux susceptibles d’être admis en remploi d’indemnités de dommages de guerre immobiliers la Ville a un intérêt indiscutable à se rendre cessionnaire d’indemnités de dommages de guerre. »
La Ville effectue la demande d’indemnité pour dommages résultant des faits de la guerre le 12 septembre 1923. Ce dossier nous apprend que depuis le devis estimatif des dommages de guerre dressé par l’architecte en date du 10 février 1920 « les dégâts s’étant aggravés dans de notables proportions, la démolition totale, a dû être exécutée, par le Service des Travaux d’Etat afin d’assurer la sécurité publique.
Actuellement, nous sommes donc en présence d’un immeuble totalement détruit dont le sous-sol, même, reste inutilisable […]. »
L’acquisition des dommages de guerre du 15 rue de la Housse permettra de réaliser en remploi pour 66 000 francs de travaux de voirie et 19 000 francs d’achats d’immeubles ou de terrains sur les tracés d’alignement d’application immédiate.
La Commission départementale d’évaluation de dommages de guerre accorde à la Ville en octobre 1926 une indemnité s’élevant à 71 012 francs.
Nous apprenons par ailleurs que le propriétaire sollicite le 3 mars 1921 une autorisation d’installer un baraquement sur son terrain. Celle-ci lui est accordée sous la condition suivante : « Il s’engage à procéder, sans aucune indemnité, à l’enlèvement dudit baraquement dès que la Ville manifestera le désir de réaliser l’alignement projeté. »
Le 15 rue de la Housse n’existe plus. Dans le cadre de la réalisation de son plan d’alignement, la Ville a procédé au dégagement du parvis de l’église Saint-Jean-Baptiste.
La reconstruction et l'ancien plan d'alignement
Le plan d’alignement de la ville dit plan Beffara (1766) avait force d’exécution avant la Première Guerre mondiale.
Les immeubles touchés par cet alignement ne peuvent faire aucune réparation confortative. Le jour où par suite de vétusté ou de destruction la reconstruction s’impose, elle ne peut s’opérer qu’à l’alignement normal. A ce moment la ville doit le prix du terrain nu.
Voici deux exemples : rue du Refuge-Maroeuil et rue des Teinturiers.
1)
Jugement (1922) : « attendu que l’immeuble incriminé est frappé de reculement au plan d’alignement de la ville d’Arras (Plan Beffara 1880) […] ordonner à titre de réparation civile […] la démolition des travaux exécutés indûment ».
Cependant, des « conclusions » (sans date) laisseraient penser que ce jugement fut cassé.
La démolition est-elle la conséquence du jugement de 1922 ?
2)
Une coupure de journal nous apprend que l’immeuble a fait l’objet d’une expropriation totale par le tribunal civil de première instance en 1927, avec pour toutes indemnités la somme de 58.500 francs.
Les projets du plan d'alignement non réalisés
Le projet de création du boulevard de Marseille
En réponse à l’enquête du journal le Lion d’Arras « Nos ruines, faut-il restaurer ? Reconstruire ? » un lecteur s’exprime : « Ainsi, il m’importe assez peu que l’on élargisse une rue d’un mètre ou deux aux dépens de maisons en ruine, mais si, pour trouver ce supplément de largeur, il faut abattre vingt ou trente façades bien solides et vigoureuses, je m’inquiète et crie holà !
De même, je ne vois pas d’inconvénients à ce que pour raisons sérieuses, on frappe d’alignement quelques immeubles suivant les règles habituelles ; mais j’en verrais à ce qu’on les démolît incontinent pour satisfaire le besoin qu’ont quelques esprits géométriques de perspectives en ligne droite. » (Le Lion d’Arras, 24 janvier 1918, Médiathèque d’Arras)
Dans un article du Beffroi d’Arras en date du 8 juillet 1920 un lecteur calcula que la création de ce boulevard aurait entraîné l’expropriation de 114 habitants.
Par ce projet de création du boulevard de Marseille Arras voulait rendre hommage à sa marraine de guerre qui vota une contribution de 900 000 francs pour la reconstruction de notre ville. A défaut de boulevard… une place lui rend hommage !
Projet de percement entre la rue du Vert-Galant et la rue Sainte-Croix (rue à ouvrir de 130 m de longueur et 7 m de largeur)
Projet de percement entre la rue des Augustines et la rue des Murs-Saint-Vaast (rue à ouvrir de 135 m de longueur sur 10 m de largeur)
Séance du Conseil Municipal du 12 août 1920 : « […] cette rue, [la rue des Murs Saint-Waast] prolongée en ligne droite jusqu’à la rencontre de la rue des Augustines, constituera une voie de circulation transversale très importante, établissant une communication directe entre la Place du Théâtre, centre de la Ville, et le quartier Saint-Géry, puis, au-delà avec le centre industriel de la rue des Rosati et de Blangy par les rues des Augustines et Jean Bodel […]. »
Le plan général des alignements au 1/1000e prévoit le désenclavement total de l’église Saint-Jean-Baptiste avec le percement de l’impasse du Saumon. (en jaune : programme de deuxième urgence). Nous voyons, en vert, le projet de création de l’actuelle place d’Ipswich).
« Le prolongement de la rue Saint-Géry et Héronval à travers la Caserne Levis 1 a aussi pour but de créer un accès direct du boulevard Carnot. » (Note concernant les directives qui ont présidé à l’étude du plan d’alignement, A. M. d’Arras, 1921)
1. Caserne Levis : emplacement de l’actuel lycée Lazare Carnot
Un marché couvert. Dès 1919 (séance du Conseil municipal du 5 septembre), la ville projette l’établissement d’un marché couvert entre les rue Ernest-de-Lannoy, des Grands-Vieziers et Saint-Denis. Il aurait 45 mètres de long et 25 mètres de large. Mais lors de la séance du 12 mars 1920, un vote donne la préférence à un projet situé au bout de la place du Théâtre, entre cette place et les rues des Jongleurs, de la Madeleine et des Petits-Vieziers. Mais en 1929, des procès-verbaux d’arpentage sont faits dans les rues du premier projet. Le projet est abandonné en 1929.
Conseil Municipal du 30 novembre 1923, extrait du rapport lu par M. le Maire : « Les « halles » seront très certainement les bien venues dans notre ville. Elles paraissent appelées à rendre de grands services aussi bien aux commerçants intéressés qu’à la catégorie plus nombreuse des consommateurs.
Les commerçants y trouveront les resserres et chambres froides leur permettant de stocker et conserver en bon état les denrées périssables. Ils trouveront également au point de vue commercial un emplacement de vente supplémentaire protégé des intempéries et très fréquenté par les consommateurs. »
La décision de lotir les terrains achetés pour la création du marché couvert est prise lors du Conseil municipal du 30 octobre 1929.
Les protagonistes du P.A.E.E. et de son plan d'alignement
Victor Leroy (9 avril 1856 - 28 novembre 1922)
Ancien juge au tribunal de commerce, il est élu maire d’Arras le 10 décembre 1919 ; il meurt en fonction. Victor Leroy, inlassable défenseur du plan d’alignement, est le rapporteur de la Commission Avant-projet pour les nouveaux alignements de la Ville (1918).
Il reste à Arras durant toute la durée de la guerre. Il contribue au sauvetage de quelques oeuvres du musée et quelques documents de la bibliothèque, sous les bombardements et l'incendie.
Elu à l'unisson de son époque, il porte la vision d'une ville nouvelle. Gustave Lemelle, qui poursuivra son projet lorsqu'il sera élu mairie, s'exprime ainsi lors des funérailles : "Il avait rêvé de faire de sa ville tant aimée une ville moderne, aux rues larges, répondant aux exigences de la circulation et de l'hygiène, aux trottoirs favorables aux piétons, aux boulevards extérieurs permettant l'extension de notre ancienne agglomération devenue insuffisante et la création de ces cités-jardins nécessaires aux familles nombreuses."
En novembre 1920 le Gouvernement lui décerne la croix de chevalier de la Légion d'honneur. Il est cité au Journal Officiel dans les termes suivants :
"Est demeuré courageusement dans la ville qui fut fréquemment bombardée par avions et canons. S’est particulièrement distingué, au mépris des plus grands dangers, au sauvetage des œuvres d’art du Musée que l’incendie menaçait. A fait preuve, en ces circonstances tragiques, du plus beau dévouement ; a également contribué au sauvetage des archives de la Chambre de Commerce d’Arras dont il est membre depuis plus de seize ans. »
Livret édité lors du décès de Victor Leroy. (collection de Françoise Charpaux, arrière-petite-fille de Victor Leroy)
Gustave Lemelle (30 mars 1872 - 18 décembre 1944)
Avocat, maire d’Arras du 12 janvier 1923 au 19 mai 1929, le plan général d’aménagement et d’extension fut voté sous sa mandature lors de la séance du conseil municipal du 16 mars 1923. C’est aussi sous sa mandature que le PAEE fut mis en œuvre.
Ludovic Roussel et Marcel Gendrot
Ludovic Roussel, architecte de la Ville, signe les deux premiers plans d’alignement au 1/1000e.
M. Gendrot, ingénieur, chargé des dommages de guerre au 7e secteur d’Arras, puis directeur du service du plan d’aménagement de la Ville (Direction des services de dommages de guerre, expropriation, alignements, achats et ventes). Il signe le plan d’alignement au 1/1000e de 1923.
René Danger (1872 - 1954)
Il a levé le plan d’alignement au 1/200e et le plan général du territoire au 1/5000e.
Il exerce en tant que géomètre-urbaniste à partir de 1912. Il fonde, avec son frère Raymon (sans d), la Société des plans régulateurs de villes. Ils ont contribué à l’aménagement de nombreuses villes : Caen, Périgueux, Rodez, Oran, Constantine, Bône, Beyrouth, Tripoli, Alep et donc… Arras.
Il est également l’un des fondateurs de l'Ordre des Géomètres-Experts ; professeur de topométrie et du premier cours d'urbanisme donné à l'Ecole des travaux publics à partir de 1928.
Précurseur, il publiera son Cours d’urbanisme dès 1933. Il est membre de la Société française des urbanistes.
En 1924 il est nommé à la Commission Supérieure d’Aménagement, d’Embellissement et d’Extension des Villes.
Ci-dessous :
- Détail d’un papier à en-tête de la Société des plans régulateurs de Villes.
- Diplôme remis à René Danger. Les nouveaux alignements apportent la lumière et l’air pur !
- Quel est le point commun entre Alep et Arras ? Leur plan d’aménagement dressé par René Danger.
- Courrier de René Danger.
Les plans d'Alep et de Damas, un banc d'essai pour l'urbanisme des frères Danger (1931 - 1937)
Léon Jaussely (1875 - 1932)
Il est le rapporteur de la Commission supérieure d’Aménagement, d’Embellissement et d’Extension des villes (institution créée auprès du Ministère de l’Intérieur) pour le PAEE d’Arras.
Grand prix de Rome en 1903, il réalise le Plan d'aménagement de Barcelone : toute la partie moderne de la ville porte désormais sa trace. Membre fondateur de la Société française des urbanistes en 1911, il en fut longtemps le président. Il réalise les plans de Carcassonne, Pau, Vittel, Tarbes et Toulouse.
Il est le concepteur en collaboration avec Albert Laprade du musée des colonies en 1928 qui deviendra plus tard le musée national des arts d'Afrique et d'Océanie (Palais de la Porte Dorée qui accueille depuis 2007 le musée de l’histoire de l’immigration) ; il est l'architecte en chef de l'exposition coloniale.
Son architecture a été fortement influencée par le modernisme fonctionnel des années 1920, et il a su allier la tradition architecturale tout en s'inspirant d'architectes fondateurs de l'architecture actuelle comme Auguste Perret.
Ci-dessous :
- Projet lauréat du concours pour le plan d'aménagement et d'extension de Paris, 1er section (avec Roger-Henry Expert et Louis Sollier), plan général, 1919.
- Courrier de Léon Jaussely à Victor Leroy, Maire d'Arras.
Le plan d'alignement et les litiges
La Ville fait une offre pour compenser l’emprise (le recul dû à l’alignement). Un décret du 22 juin 1920 fixe le taux et le mode de calcul des indemnités. Le propriétaire conteste très souvent l’offre. « Arras extension » est une société spécialisée dans la contestation de l’offre faite par la Ville.
Sans accord commun le litige aboutit à un jugement d’expropriation.
Prenons l’exemple du 70 rue Saint-Aubert (photographie plus bas) qui fait l’objet d’un jugement d’expropriation en date du 26 juillet 1926.
Le cafetier, locataire, a engagé 45 000 francs de travaux d’aménagement.
La Ville fait valoir que le rescindement n’affectera pas le fonds de commerce et que les travaux n’apporteront qu’un trouble temporaire et partiel à l’exploitation du commerce. L’offre est fixée à 1 390 francs ; la demande s’élève à 75 000 francs.
Décision du jury le 7 juillet 1927 :
En cas d’éviction partielle : 30 000 francs
En cas hypothétique de résiliation du bail par justice : 40 000 francs
Le propriétaire. L’emprise est de 12 m2 69
Le dossier de l’architecte note : « C’est à tort également que dans ses propositions, la Ville d’Arras porte cet immeuble comme gravement endommagé, non seulement, il ne l’est pas, mais il a été réparé et cela d’une façon sérieuse et même décorative à l’intérieur ».
L’offre de la Ville s’élève à 21 170 francs ; le propriétaire demande 150 000 francs.
La décision du jury prononcée le 7 juillet 1927 accorde au propriétaire 45 000 francs et 1 000 francs à titre commercial.
Courrier de la Ville du 9 mars 1928 : « J’ai l’honneur de vous faire connaître que la Ville prendra possession au 15 avril du terrain exproprié de votre immeuble 70 rue Saint-Aubert.
Je vous prie de vouloir bien en informer votre locataire afin qu’il libère la partie d’immeuble emprise.
Veuillez également me faire connaître si vous acceptez de procéder vous-même avant le 15 avril à la démolition des constructions en élévation et des voutes de caves sur l’emprise et au comblement soigné de ces caves, ou si vous préférez que la Ville démolisse elle-même ces constructions. Dans le premier cas les ouvrages ou matériaux de récupération resteront votre propriété. »
70 rue Saint-Aubert, 1927 (source : médiathèque municipale) - en 2016
La Reconstruction est souvent une affaire complexe, le propriétaire contestant l’indemnité de la Ville. Prenons trois exemples.
1) 2 rue Saint-Aubert, propriété de M. Leblanc (nom modifié), débitant de tabac.
Etat de l’immeuble avant l’alignement
Un arrêté du 25 juin1920 lui enjoint d’évacuer son immeuble qui est exposé à l’effondrement lors de la démolition qui va s’opérer de la maison voisine (il s’agit de la Maison bleue). M. Leblanc conteste cet arrêté.
Dans un rapport d’’expertise du 10 juillet 1920, l’architecte du Service des Régions libérées note : « Il est à remarquer d’autre part que la maison étant frappée d’alignement, aucun travail confortatif ne peut-être fait jusqu’à trois mètres en recul de l’alignement actuel et que la maison 2, rue Saint-Aubert, ne peut-être conservée que provisoirement ».
« Immeuble considéré comme complètement ruiné, bien que n’ayant pas cessé d’être habité. Reconstruit entièrement par parties successives sans aucune autorisation au droit de la loi du 14 Mars 1919. Les travaux sur l’emprise ont le caractère de travaux provisoires. Façade en stuc sur lattes et pans en bois. » (courrier de 1925)
L’alignement
L’emprise (le recul dû à l’alignement) est de 12 m2 40 sur un immeuble d’une superficie bâtie de 40 m2. (23 % de la surface totale). La Ville fait en 1924 une offre de 2500 francs (200 francs par mètre carré).
La surface d'emprise à exproprier est marquée par le pointillé (source : archives municipales)
Un décret du 22 juin 1920 fixait le taux et le mode de calcul des indemnités.
Le propriétaire contacte un avocat qui juge « l’offre pour toute indemnité purement dérisoire ». Il évoque :
- L’emprise se fait en façade sur la rue d’Arras la plus importante, où le terrain atteint sa plus grande valeur ;
- Le devis de la façade à démolir, la reconstruction au nouvel alignement : 41 661 francs, par l’architecte Roussel ;
- L’immeuble réduit n’aura plus la même valeur ;
- L’immeuble déprécié aura une valeur locative moindre.
Il estime le préjudice total à 119 161 francs.
Notons que les dommages de guerre s’élèvent à 122 186 francs. Le propriétaire en conserve la libre disposition. Nous apprenons qu’il a acquis l’immeuble en 1911 pour la somme de 13 955 francs.
Un jugement d’expropriation est rendu le 25 février 1925. Puis l’affaire est portée devant le Tribunal civil de première instance. Le jury accorde à M. Leblanc 48 452 francs.
2) 4 rue du Collège. La Ville offre comme éléments d’indemnités:
· La valeur vénale des constructions sur l’emprise (1 970 francs) ;
· La somme nécessaire à la remise en état de l’immeuble à l’alignement (6 450 francs) ;
· La valeur du terrain d’emprise (670 francs).
Total : 9 090 francs.
Le propriétaire demande 85 798 francs (démolition en entier du bâtiment ; valeur du terrain ; dépréciation de l’immeuble en raison de la forme irrégulière du terrain restant).
Le jury accorde au propriétaire la somme de 20 000 francs.
3) 107 rue Méaulens.
Pour cet immeuble, l’emprise est de 13 m2 68. (Observons l’immeuble mitoyen dont les travaux d’alignement sont en cours.)
Voici l’argumentation du propriétaire, en date du 2 avril 1927 :
« C’est à tort que cet immeuble est porté dans la nomenclature des immeubles à exproprier, comme étant gravement endommagé, il n’en est rien.
La mise à l’alignement de cette maison la met du fait de l’enlèvement de son emprise d’alignement dans une grosse proportion, restreinte, par rapport à ce qu’elle est actuellement.
C’est au point de vue commercial, surtout en ce qui concerne la surface du magasin proprement dit, que la diminution de surface va se faire sentir.
Il est indispensable de conserver à cet estaminet, où se pratique depuis un temps immémorial le jeu du javelot, au moins sa surface actuelle.
De plus des travaux d’une réelle importance sont à prévoir, en raison du sol mouvant et du niveau d’eau qu’il faut reprendre à 15 mètres de profondeur.
Notre étude à portée [sic] sur la démolition, bien entendu et la reconstruction en identique, ce travail dont il sera présenté étude au Jury, donne les résultats suivants ».
Démolition du corps principal et des annexes 9.388,00
Enlèvement des vieux matériaux 1.350,00
Reconstruction en identique rez-de-chaussée,
2 étages, mansarde et faux grenier 140.535,00
Nivellement du sol au dessus de la cave 2.000,00
Honoraires de l’architecte [non noté]
Total 169.073,00
Voici maintenant les sommes offertes pour toutes indemnités par la Ville. « Cet immeuble a été restauré dans sa situation ancienne contrairement à l’arrêté qui subordonnait l’autorisation de le restaurer à la reconstruction au nouvel alignement.
Cet immeuble était déjà frappé d’alignement au plan dit Beffara.
Quoi qu’il en soit la Ville offre les éléments d’indemnités suivants calculés sur la situation actuelle
1° La valeur vénale des constructions sur l’emprise dans leur état actuel [3.150 francs]
2° La somme nécessaire à la remise en état de l’immeuble à l’alignement approuvé [8.920 francs]
3° La valeur du terrain d’emprise [550 francs]
[…] Au total pour toutes indemnités : 12.620 francs ».
Le terrain d’emprise estimé est de 40 francs le m2. Cette valeur du terrain se base sur les opérations d’achat d’immeubles effectuées dans le quartier.
En résumé, le propriétaire demande une indemnité de 169.073 francs, la ville offre 12.620 francs.
Le tribunal civil de première instance de l’arrondissement d’Arras fixe le 13 juillet 1927 l’indemnité due au propriétaire à la somme de 48.000 francs.
107 rue Méaulens, 1927 (observons la maison mitoyenne dont les travaux d'alignement sont en cours) (source : archives municipales)
En raison des travaux de rénovation et de réhabilitation du quartier Méaulens commencés dans les années 1970, les maisons alignées lors de la Grande Reconstruction n’existent plus. Cependant, ces maisons ont été photographiées en juin 1973. Nous découvrons la maison sise 107 rue Méaulens alignée (elle a gardé son enseigne « Au pot d’étain »), ainsi que le 109, en cours d’alignement sur la photo ci-dessus prise en 1927. (fonds documentaire Alain Nolibos)
Une note nous renseigne sur le calcul des offres légales lors d’une expropriation pour alignement et la prise en compte des dommages de guerre. « […] l’immeuble est considéré pour sa valeur intrinsèque, c’est-à-dire abstraction faite de la valeur du terrain c’est-à-dire de la situation en ville. La Ville offre :
1° La valeur vénale de la partie d’immeuble bâti qu’elle exproprie, c’est-à-dire la valeur commerciale des constructions sur l’emprise
2° La somme nécessaire à la reconstruction de la nouvelle façade de l’immeuble
3° Une indemnité correspondant aux dépenses à engager pour les remaniements intérieurs nécessités au-delà de l’alignement par l’implantation à cet alignement de la nouvelle façade
4° Accessoirement une indemnité de dépréciation de l’immeuble.
Remarques. Toutefois la Ville dans le calcul des indemnités des § 1°, 2°, 3° tient compte :
a) Du montant des indemnités de dommages de guerre accordées pour l’immeuble, indemnités qui restent entièrement la propriété du propriétaire de l’immeuble qui peut en disposer comme il le désire et cela non seulement pour la partie de constructions non touchées par l’alignement, mais aussi pour celles situées sur cette emprise. […] » (Livret Calcul des offres légales, sans date)
Sans accord à l’amiable, l’affaire est portée au tribunal
Le tribunal civil de première instance de l’arrondissement d’Arras prononce en 1925 en première série 211 jugements fixant l’indemnité définitive liée à l’expropriation ; 145 pour la seconde série en 1927. Ces jugements concernent les travaux du programme d’application immédiate.
Certains jugements étaient cassés, en raison par exemple d’un jury composé seulement de quatre membres : « Les jurés ne peuvent délibérer valablement qu’au nombre de six au moins ».
Grâce à une note adressée à M le Maire, nous avons connaissance des « chiffres définitifs correspondant aux opérations des 1ère et 2ème séries d’expropriation soumises au jury.
· 1ère série
Demandes des expropriés 19 524 308 f 99
Sommes offertes par la Ville 1 124 932
Sommes allouées par le jury 7 366 000
Les sommes allouées par le jury représentent 6 fois 1/2 les sommes offertes par la Ville et 37 % des demandes.
· 2ème série
Demandes des expropriés 12 701 399
Sommes offertes par la Ville 1 460 322
Sommes allouées par le jury 4 940 425
Les sommes allouées par le jury correspondent dans cette 2e série à 3 fois 1/3 les offres et à 38 % des demandes.
Les chiffres que je vous donne ne comprennent pas les accords amiables intervenus avant ou pendant les procédures d’expropriation. Ils ne se rapportent qu’aux affaires soumises à la décision du jury et ne représentent pas par conséquent les dépenses réelles d’acquisition de l’ensemble des terrains nécessaires à la réalisation des alignements d’application immédiate. » (20 octobre 1927)
Un rapport révèle que 13 290 m2 pour un prix de 3 200 000 francs ont été acquis à l’amiable au 15 mars 1924 dans le programme d’application immédiate. Ces acquisitions concernent 105 habitations.
Nous constatons la différence importante entre l’offre faite par la Ville et la demande du propriétaire qui va faire l’objet d’une expropriation.
Ce tableau fait une synthèse des offres et demandes pour les rues Saint-Aubert, Ernestale et des Trois Visages.
Nous constatons que pour une offre totale concernant ces rues de 61 690 francs, la demande est de 1 816 477 francs. La somme allouée après jugement est de 1 155 000 francs.
Une surface de commerce réduite. Ici le négociant (quincaillerie) rue Saint-Aubert fait valoir que l’alignement – en réduisant la surface de son magasin - va compromettre l’activité de son commerce. Il fait venir un huissier. Le procès-verbal indique : « […] mon requérant j’[n] a que tout juste la place qui lui est nécessaire et a dû déjà entasser la marchandise en utilisant les moindres recoins. »
rue Saint-Aubert, 1925. (source : archives municipales)
Au 16 rue Saint-Nicolas, pour satisfaire l’alignement, le propriétaire doit reculer sa façade de 0.56 m à gauche et de 0.81 m à droite. L’arrêté précise : « la reconstruction ne pourra être effectuée que sur le nouvel alignement ». Il n’en fut rien (rupture d'alignement, flèche rouge ci-dessous). La conséquence d’une cassation du jugement ?.
Parfois, l’administration peut être pointilleuse concernant l’alignement, pour quelques centimètres...
Un pan coupé qui pose problème...
Comme le prévoit le plan d'alignement :
Cet immeuble était touché dans le plan d’alignement par le programme d’application immédiate.
Le procès-verbal de constat d’huissier en date du 27 novembre 1926, à la demande du propriétaire, nous informe que le jury d’expropriation avait décidé que l’immeuble serait sectionné en pan coupé, en un angle de 3 m 60 de côté environ. « … il [M le Maire] a fait procéder à la démolition du pan coupé sans s’inquiéter des conséquences qui en résulteraient pour la solidité de l’immeuble […]. Les intempéries sont arrivées, les façades sont coupées et taillées en porte à faux. [Le propriétaire] avait fait le nécessaire pour étayer et sauvegarder le reste de l’immeuble et même éviter tout danger sur la voie publique. »
Quelques jours plus tard un huissier désigné par la Ville note : « En ce qui concerne la démolition par la Ville de la partie des constructions expropriées [le pan coupé] :
Que la Ville d’Arras n’a fait qu’user de son droit de propriétaire en prenant possession dans les conditions prévues par la loi d’un terrain exproprié.
Qu’elle a d’ailleurs eu soin de proposer [au propriétaire] de se charger de cette démolition afin que les travaux de démolition puissent concorder avec ceux de reconstruction. […]
Que la situation actuelle n’est nullement dangereuse.
Qu’elle ne le deviendra que si les propriétaires retardent encore les travaux de reconstruction de la nouvelle façade sur le pan coupé.
Qu’en cas d’accident leur responsabilité sera d’autant plus engagée que le danger aura été prévu et qu’ils n’auront rien fait pour l’éviter. »
Un rapport (novembre 1927) de l’architecte-conseil de la Ville signale « que la partie de façade sur la rue Baudimont de l’immeuble 12 Place du Pont de Cité […] menace depuis peu de s’écrouler par suite du déplacement d’un des deux étais de cette façade, et par son effondrement de compromettre gravement la sécurité publique. »
Un arrêté du Maire enjoint au propriétaire « d’effectuer à cet immeuble, dans le délai d’un mois de ce jour, tous travaux de démolition, de réparation ou de reconstruction de façon à faire disparaître pour l’avenir tout danger d’écroulement des façades, sans qu’il soit nécessaire de recourir pour obtenir ce résultat à des étais prenant appui sur la voie publique. » (souligné par nos soins).
L’affaire n’est conclue que le 21 janvier 1929, aux dépens du propriétaire.
Aujourd’hui, il ne subsiste aucune construction à cet emplacement.
Le plan d'alignement a-t-il été réalisé ?
Le plan d’alignement n’a pas été réalisé intégralement. On peut facilement remarquer en ville les dents creuses, les ruptures d’alignement.
Néanmoins est-il exact d’écrire que « […] les travaux effectués se réduisent en une poussière d’alignements disparates […] (l’auteur souligne par ailleurs les réalisations d’envergure). Finalement, lorsqu’en 1926, l’essentiel de la ville est reconstruit, le pouvoir municipal semble avoir eu bien peu de prise sur le déroulement de cette reconstruction. » 1 ; ou « Certes la circulation est améliorée par l’élargissement de quelques rues […]. Mais sauf quelques tronçons, les travaux sont vite abandonnés. Un plan d’hygiène et d’urbanisme, dit alors de voirie, a bien été mis au point en 1923 […]. La municipalité […] ne peut qu’abandonner le projet, laissant libre cours à une action désordonnée qu’aucune loi ne lui permet de contrôler.» (Le désengagement financier de l’Etat est évoqué 2) 3 ?
Mais rappelons que les dossiers de la Grande Reconstruction de la Ville n'étaient pas consultables jusque 2006...
Les auteurs de Histoire d'Arras n'écrivaient-ils pas : « Elle [la reconstruction] fut une affaire complexe et encore mal connue car les recherches historiques manquent. » 4
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Nous avons évalué dans quelle mesure le plan d’alignement a été effectivement réalisé.
Il concerne 81 rues et places : en effet, outre les 60 rues, places, cours, pourtour et boulevard cités par le décret du 1er août 1924, 21 supplémentaires sont visées par le projet, si l’on se réfère au plan d’alignement et de nivellement au 1/200e.
Le plan d’alignement se décline en deux séries de travaux, ceux qualifiés d’application immédiate, identifiés sur le plan d’alignement par une couleur verte, et ceux qualifié de 2e urgence, apparaissant sous la couleur jaune.
Prenons l’exemple de la rue des Jongleurs.
Certaines rues (ou places) ne sont concernées que par le programme d’application immédiate, d’autres par celui de 2e urgence, mais une partie importante des voies de communication ciblées est concernée par les deux.
La démarche a été la suivante : à partir de photographies prises du plan d’alignement des rues et places concernées ; puis, en exploitant les images du cadastre actuel, nous avons observé la réalisation ou la non réalisation des travaux prévus en en évaluant la proportion.
En noir, nous soulignons les travaux prévus par le plan d’alignement. Sur le cadastre actuel, en rouge, nous notons les travaux réalisés et en bleu ceux qui ne l’ont pas été. Ici, sur notre exemple, les travaux d’application immédiate ont été réalisés entièrement mais pas ceux de 2e urgence.
Pour chaque rue et place, une évaluation chiffrée est donnée sur une échelle allant de 0 à 10. Pour cette rue, la note est de 10 sur 10 pour les travaux d’application immédiate, 0 pour les travaux de deuxième urgence.
Nous avons également évalué, pour chaque rue, l'aspect quantitatif des travaux. "10" : travaux d’alignement très importants (surfaces d’emprise) ou modification de la physionomie de la rue (rue tortueuse) – "10" : travaux d’alignement importants – "10" : travaux d’alignement moyennement importants – "10" : travaux d’alignement peu importants (quelques maisons) – "10": travaux d’alignement très peu importants (pan coupé).
Nous avons au total comparé 162 photographies du Plan d'alignement et de nivellement des voies et places publiques à l’échelle 1/200e et le cadastre actuel.
Bilan du programme d'application immédiate 5 :
67 rues6 concernées et sur ces 67 rues, 56 ont vu leurs travaux entièrement réalisés (83 %), 9 partiellement et pour 2, l’évaluation est impossible avec le cadastre actuel.
(97 % entièrement ou partiellement)
Bilan du programme de deuxième urgence :
56 rues concernées et sur ces 56 rues, 10 ont vu leurs travaux entièrement réalisés (18 %), 8 partiellement et pour 3, l’évaluation est impossible avec le cadastre actuel.
(32 % entièrement ou partiellement)
Au total, pour le programme d’application immédiate et pour le programme de 2e urgence, 71 rues ont été impactées par le Plan d’alignement.
L'aspect qualitatif des travaux :
La découverte du P.A.E.E. et de son plan d’alignement revisite l’historiographie présentant une reconstruction parcimonieuse et qui aurait échappé au contrôle de la municipalité.
Nous retrouvons le sens oublié du tableau qui contemple la salle du Conseil municipal de
l’Hôtel de Ville, inauguré en 1932. En témoignage de son importance pour les contemporains de la Grande Reconstruction, le Plan d’alignement est au centre de l’œuvre de Charles Hollart. Cette peinture forme comme un trait d’union entre les joyaux anciens, les figures de l’art et de la culture d’Arras (la tapisserie, la porcelaine, Adam de la Halle, Jehan Bodel…) et la ville nouvelle, à l’ère de l’urbanisme moderne.
Rappelons que l’Hôtel de Ville fut inauguré en 1932 : la mise en œuvre du Plan d’alignement venait de s’achever. Concevons qu’il fut un événement majeur dans la vie des Arrageois et lourd de contraintes pour celles et ceux qui de retour après des années d’exode dans une ville détruite, durent avant de reconstruire, reculer une façade, établir un pan coupé. Qu’il en a fallu de patience et d’ardeur au travail ! Charles Hollart l’avait bien compris en inscrivant son épigraphe : « Arras renait dans le travail et la paix ».
1 - Mémoire de maîtrise, La Reconstruction d’Arras après la Première Guerre mondiale, JC Bourgeois, 1988, p. 105 et 107
2 - Voir à ce sujet le paragraphe : « Le financement du plan d’alignement »
3 - Histoire d’Arras, sous la direction de P. Bougard, Y.-M. Hilaire et A. Nolibos, Le Téméraire, 2000, p. 299
4 - Ibidem. p. 298
5 - La loi du 17 avril 1919 (Charte des sinistrés) dans son article 61 fut incitative. Les subventions accordées pour le programme d’application immédiate concernent des immeubles gravement endommagés ou des terrains nus. L’Etat subventionne également les travaux de voirie qui sont la conséquence immédiate des alignements.
6 – terme générique : rue, place, pourtour, boulevard, cour
7 - «Il s’agissait d’une opération considérable, plus de 600 dossiers étaient à constituer. […] Nous pourrions encore signaler pour bien prouver qu’il ne s’agit que de rescindements, que dans les quelques 600 opérations effectuées figurent une cinquantaine d’opérations de règlement d’indemnités pour des terrains déjà incorporés au domaine public […].» (2e série d’expropriation, dossier cassation, note de la Ville d’Arras du 4 février 1928)
Le P.A.E.E. : Arras bonne élève !
« De 1919 à 1931, en France, 1 600 villes sont tenues d’avoir un plan d’aménagement, d’embellissement et d’extension. 250 villes ont transmis un dossier soit 15 %. 132 ont fait l’objet d’un décret d’utilité publique soit 8 % » 1. L’article n’indique pas dans quelle proportion les villes ayant publié un décret d’utilité publique ont effectivement mis en oeuvre leur P.A.E.E. et leur plan d'alignement.
Dominique Mons conclut : « On peut donc parler d’échec relatif de la loi Cornudet qui n’a pas su imposer une régénération urbaine de l’envergure voulue. »
Dans le Pas-de-Calais, 18 villes de plus de10 000 habitants sont soumises aux dispositions de la loi Cornudet de 1919 - 1924 ; 8 ont vu leur plan d’aménagement, d’embellissement et d’extension approuvé. 2
1 - article De l’art urbain à l’urbanisme. Les reconstructions urbaines après la Grande Guerre de Dominique Mons paru dans La Grande Reconstruction, reconstruire le Pas-de-Calais après la Grande Guerre, actes du colloque d’Arras, 8 au 10 novembre 2000, Archives départementales du Pas-de-Calais, 2002, p. 290
2 - Viviane Claude, Les Projets d’Aménagement, d’Extension et d’Embellissement des Villes (1919 - 1940) Sources et questions, Délégation à la recherche et à l’innovation, 1990, annexe 2
Le plan d'alignement vu par les journaux Le Lion d'Arras et Le Beffroi d'Arras
Le Lion d’Arras (hebdomadaire, 1er janvier 1916 - 1er janvier 1920) - journal de siège - se veut d’Union sacrée et apolitique.
Le Beffroi d’Arras (hebdomadaire, 8 janvier 1920 - 6 novembre 1925) lui succède. Il a pour ligne de conduite « la défense des intérêts d’Arras sans préjugés, sans ambitions ou rancunes, sans calculs privés ou intérêts personnels ».
De très nombreux articles sont consacrés au plan d’alignement ; en voici une sélection.
Nous voyons la volonté inébranlable des élus de faire aboutir le plan d’alignement pour que des ruines de la Grande Guerre émerge une ville nouvelle, et ces deux journaux se positionner contre le plan d’alignement.
Alignement ou aménagement ? Le plan d'aménagement d'embellissement et d'extension (PAEE) a-t-il été établi ?
La Ville a-t-elle mis en œuvre un plan d’alignement et de nivellement ou un plan d’aménagement, d’embellissement et d’extension ?
a) Les textes
La loi Cornudet du 14 mars 1919 est une « Loi concernant les plans d’extension et d’aménagement des villes. ». L’article 1er précise : « Toute ville de 10 000 habitants et au-dessus […] est tenue d’avoir un projet d’aménagement, d’embellissement et d’extension. »
Dans son article 2, elle note : « Lorsqu’une agglomération, quel que soit le chiffre de sa population, a été totalement ou partiellement détruite, par suite de fait de guerre, d’incendie, de tremblement de terre ou de tout autre cataclysme, la municipalité est tenue de faire établir, dans le délai de trois mois, le plan général d’alignement et de nivellement des parties à reconstruire, prévu par la loi du 5 avr. 1884, accompagné d’une étude sommaire du projet d’aménagement, d’embellissement et d’extension prévu à l’art. 1er de la présente loi. »
Arras, de par sa population supérieure à 10 000 habitants est concernée par les deux premiers articles.
L’article 61 du 17 avril 1917 (loi sur la réparation des dommages de guerre dit Charte des sinistrés) note (souligné par nos soins) :
« Les frais d’établissement des plans d’alignement et de nivellement des voies publiques de toutes catégories qui devront être dressés en vue de la reconstitution des immeubles détruits dans les communes ou les parties de communes atteintes par les faits de la guerre sont à la charge de l’Etat.
Des subventions inscrites au budget du ministère chargé de la reconstitution des régions libérées, pourront, pour les dépenses d’application immédiate des plans d’alignement et de nivellement, être accordées par le ministère aux communes, en ce qui concerne les voies dont le sol leur appartient, et aux départements, en ce qui concerne les routes départementales.
Ces subventions seront notamment applicables à l’acquisition des terrains nus ou des bâtiments actuellement ruinés ou gravement endommagés compris dans les alignements. Le prix d’acquisition de ces terrains et bâtiments sera, à défaut d’entente amiable, fixé par un jury composé de quatre jurés dans les conditions fixées par l’article 16 de la loi du 21 mai 1836, quel que soit le caractère de la voie publique à laquelle ces terrains et bâtiments doivent être incorporés.
Le taux desdites subventions sera déterminé suivant un barème fixé en un décret contresigné par le ministère des finances et par le ministre des régions libérées. »
b) Définition
L'alignement correspond à la détermination de l'implantation des constructions par rapport au domaine public, afin de satisfaire aux soucis esthétiques, urbains, de salubrité, de sécurité, de circulation...
L'alignement est donc la détermination de la limite du domaine public au droit des propriétés riveraines, fixée par l'autorité administrative 1.
Repères historiques :
1607 – Edit d’Henri IV et de Sully. Il vise à supprimer les empiètements sur la voie publique en interdisant « les saillies, avances pans de bois ès rues aux bâtiments neufs. » Il s’agit de la toute première mesure visant à procéder à l’alignement des voies. Ces dispositions restèrent en vigueur sous la Révolution en vertu de la loi du 12 juillet 1791. Elles furent reprises ensuite par différents textes dont la loi du 16 septembre 1807 et celle du 5 avril 1884 qui prescrit l’établissement de plans d’alignement dans toutes les communes 2.
c) Alignement ou aménagement : la contestation des jugements d'expropriation
1) Les exposants
Suite aux jugements d’expropriation de deuxième série (1927) rendus par le tribunal civile d’Arras, des pourvois en cassation sont formés, en raison du nombre de membres du jury. Le jugement a été prononcé par un jury de quatre membres « qui s’applique uniquement lorsqu’il s’agit de la réalisation immédiate dans les villes atteintes par les faits de guerre de plans d’alignement et de nivellement alors que dans l’espèce l’expropriation était poursuivie pour la réalisation d’un plan d’aménagement et d’extension prévu par la loi du 14 mars 1919 et que dès lors la fixation des indemnités appartenait conformément à la procédure de droit commun au jury de huit membres. » (Mémoire ampliatif – cour de cassation – chambre civile, s. d, souligné par nos soins, A. M. d’Arras, 4 O 1 / 22 – Dossier expropriations 2e série)
2) L’argumentation de la Ville (note du 4 février 1928, les parties soulignées le sont dans le texte) :
Pour les localités des zones dévastées «[…] tout plan d’alignement fait toujours partie du plan général d’aménagement soit approuvé, soit projeté ! »
« La Ville n’a effectué en dehors de ces opérations d’alignement aucune opération d’aménagement ou d’extension qui d’ailleurs n’auraient pu bénéficier de la subvention de l’Etat. Son plan d’aménagement et d’extension n’est pas approuvé, ni même établi. Le projet succinct fourni conformément à l’article 2 de la loi du 14 mars 1919 ne peut tenir lieu du projet définitif obligatoire qui reste toujours à élaborer.
Il ne s’agit donc pas d’aménagement, mais d’alignement […]
Vous voudrez bien constater en outre que dans le jugement d’expropriation il n’est fait mention à aucun moment de la loi du 14 mars 1919 sur l’aménagement des Villes.
Nous pourrions encore signaler pour bien prouver qu’il ne s’agit que de rescindements, que dans les quelques 600 opérations effectuées figurent une cinquantaine d’opérations de règlement d’indemnités pour des terrains déjà incorporés au domaine public […]
Le plan général d’aménagement et d’extension n’a jamais été établi et encore moins approuvé. »
La note reconnaît que dans les documents de procédure il est fait allusion non seulement à l’article 61 de la loi du 17 avril 1919, mais aussi à la loi du 14 mars 1919 : les dispositions de l’article 61 s’inscrivant dans le cadre de l’article 2 de la loi du 14 mars 1919.
(4 O 1 / 22 – Dossier expropriations 2e série)
3) La cassation du jugement
Des décisions du jury rendues en 1927 ont été cassées par arrêts de la Cour de cassation en 1928.
« En conséquence les exposants font, par la présente, sommation à Monsieur le Maire de la Ville d’Arras, d’avoir avant le 16 avril 1928, dernier délai, à provoquer la réunion du jury d’expropriation et la fixation définitive des indemnités. » (7 avril 1928)
La cassation se prononce donc en faveur de la mise en œuvre d’un PAEE par la ville d’Arras.
d) Quelle est la terminologie employée dans les textes concernant le PAEE d'Arras ?
(souligné par nos soins)
1) Arrêté du 14 décembre 1923 : « vu le décret en Conseil d’Etat en date du 26 octobre 1923 approuvant le plan d’aménagement d’Arras »
2) Décret du 1er août 1924 : « vu le décret du 26 octobre 1923, approuvant le plan d’aménagement et d’extension de la dite ville »
3) Note de la Ville : « Enfin le 16 mars 1923 le Conseil municipal de la Ville put adopter définitivement : 1° un plan général d’aménagement et d’extension de la Ville […] » (A. M. d’Arras, 4 O 1 / 6, 8 juin 1925)
4) Conseil municipal du 16 mars 1923 :
Son titre est : « alignement, aménagement et extension ».
Les élus parlent de « projet général d’aménagement des rues et places de la Ville »
Les quatre délibérations et l’arrêté pris le 16 mars 1923 ont pour contenu :
- « Première délibération – plan d’alignement d’aménagement et d’extension »
Cette délibération adopte le programme d’application immédiate du projet d’aménagement de la ville.
- Deuxième délibération : acquisition de droits à indemnités de dommages
- Troisième délibération : projet général d’extension
- Quatrième délibération – «programme d’application immédiate du plan d’aménagement d’embellissement et d’extension de la Ville ». Création d’un compte des dépenses non subventionnées faites à l’occasion des dépenses de la Ville.
- Arrêté : règlement municipal de voirie et d’hygiène applicable à dater de ce jour. Cependant « Répondant à une question de M. Petit, M. le Maire déclare que le règlement d’hygiène précité est à faire, et qu’il sera soumis en temps utile à l’approbation du Conseil. »
5) Dans les autres comptes rendus du Conseil municipal, le terme « alignement » est génériquement employé.
Exemple : séance du 14 septembre 1923. Titre : « Plan d’alignement – voies urbaines – Lever du plan parcellaire »
« Au cours de la procédure d’expropriation que notre service du plan d’alignement engagera […] »
Ce qui fait écho à l’analyse de Viviane Claude : « Au début des années 1920, le vocabulaire de l’urbanisme est peu stabilisé […]. La notion d’aménagement et celle d’alignement – qui juridiquement a une définition très claire – sont employées dans des sens très voisins, voire identiques. […] L’assimilation de l’aménagement à l’alignement est surtout le fait des géomètres qui, urbanistes ou non, constituent un groupe influent au début de l’entre-deux-guerres (reconstruction et lotissement). Mais le rapport entre les deux types de plan n’est pas non plus bien compris par les municipalités qui […] substituent aisément les deux termes. »3
e) Conclusion
1) Juridiquement
La Cour de cassation se prononce donc en 1928 en faveur de la mise en œuvre d’un PAEE par la ville d’Arras.
2) Le parcours législatif
Le rapport du 5 août 1923 est présenté en vue de l’obtention de la déclaration d’utilité publique. Il est intitulé : « RAPPORT fait au nom de la COMMISSION SUPERIEURE d’Aménagement , d’Embellissement et d’Extension des Villes sur le plan d’Aménagement et d’Extension de la Ville d’ARRAS présenté à son approbation par le Conseil Municipal de cette Ville ». Léon Jaussely souligne : « Je vous propose donc d’approuver le plan d’aménagement et de reconstruction d’Arras présenté aujourd’hui. » (Il précise les points à améliorer, notamment le plan d'extension).
Le décret du 26 octobre 1923 déclarant d’utilité publique les travaux d’application immédiate mentionne :
« Vu les délibérations du Conseil Municipal d’Arras, en date des 16 mars, 1er juin et 5 juillet 1923 ;
Vu le procès-verbal de l’enquête à laquelle il a été procédé les 29 – 30 juin et 2 juillet 1923 ;
Vu, en date des 23 juin, 4 et 5 juillet 1923, les avis de la Commission Départementale d’aménagement et d’extension des Villes et des Villages du Pas-de-Calais ;
Vu, en date des 6 décembre 1921 et 7 avril 1923, les avis de la Commission Supérieure d’aménagement d’embellissement et d’extension des Villes ;
Vu l’avis du Ministre des Régions libérées [...].»
Ce décret est signé par Alexandre Millerand, président de la République.
Le décret du 1er août 1924 déclarant d’utilité publique le projet d’élargissement et de redressement de rues commence ainsi :
« Le Président de la République Française,
Sur le rapport du Ministre de l’Intérieur ;
Vu la délibération du Conseil Municipal d’Arras, en date du 2 mai 1924 ;
Le décret du 26 octobre 1923, approuvant le plan d’aménagement et d’extension de la dite ville [...].»
Ce décret est signé par Gaston Doumergue, président de la République.
Il s’agit bien des différentes étapes de la procédure d’élaboration du PAEE précisée par l'article 7 de la loi du 14 mars 1919 :
- Le conseil municipal doit décider par délibération de la réalisation d’un PAEE ;
- Une enquête publique est lancée afin de requérir les doléances des habitants ;
- Le projet est examiné par une commission départementale d’aménagement et d’extension des villes et villages qui dresse un rapport ; puis par une commission supérieure dépendant du Ministère de l’Intérieur ;
- A terme un décret présidentiel d’utilité publique entérine le plan validé.
La Ville aurait-elle été de mauvaise foi dans sa défense auprès de la Cour de cassation en 1928 ; aurait-elle perdu de vue les deux décrets présidentiels du 26 octobre 1923 et du 1er août 1924 ?
1 - Wikipédia - : Contenu soumis à la licence CC-BY-SA 3.0. Source : Article Alignement (urbanisme) de Wikipédia en français (auteurs)
2 - https://urbanismeamenagementfiscalite.files.wordpress.com
3 - Viviane Claude , Les Projets d’aménagement, d’Extension et d’Embellissement des Villes (1919 – 1940), Sources et questions, Délégation à la recherche et à l’innovation, 1990, p. 43
L'alignement aujourd'hui (épilogue)...
Voici un extrait du registre des délibérations du conseil municipal en date du 22 mars 2004 :
« Elaboration du Plan Local d'Urbanisme (PLU) - Suppression des plans d'alignement
Mesdames, Messieurs,
Le Plan d'Occupation des Sols (P.O.S) de la ville d'ARRAS comprend encore de nombreuses servitudes pour les aménagements de voiries tels qu'ils étaient en vigueur dans les années antérieures à 1970.
Aujourd'hui, les principes d'aménagement repris dans l'ensemble des villes privilégient la qualité patrimoniale et l'ambiance des anciens quartiers aux nouvelles routes rectilignes qui engendrent vitesse et nuisances sonores.
Aussi, afin de ne pas pénaliser les propriétaires des parcelles encore grevées par de telles servitudes qui ne feront jamais l'objet de la réalisation de ce type de projet, je vous propose :
- de décider la suppression des plans d'alignement des rues dont la liste est jointe en annexe [...] »
(en gras dans le texte)
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